La Prison d'Édimbourg
scandale qui va en résulter pour tous les fidèles.
– David, dit le laird en lui montrant sa bourse verte, l’argent n’y peut-il rien ?
– Dumbiedikes, répondit le vieillard, j’aurais donné de bon cœur tout ce que je possède au monde pour éviter qu’elle ne tombât dans le piége qui lui a été tendu par l’ennemi du salut ; j’aurais consenti à sortir de chez moi, un bâton à la main, et à mendier mon pain pour l’amour de Dieu ; j’aurais donné ma vie pour sauver son âme. Mais s’il ne fallait qu’un dollar, que la vingtième partie d’un dollar pour l’arracher au sort honteux, à la punition publique qu’elle a méritée, je n’en ferais pas le sacrifice. Non ! un œil pour un œil, une dent pour une dent, la vie pour la vie, le sang pour le sang, c’est la loi des hommes, et c’est celle de Dieu. Mais qu’on me laisse, qu’on me laisse seul ; c’est dans la solitude, c’est à genoux que je dois demander au ciel la force de supporter cette épreuve.
Jeanie, retrouvant un peu de présence d’esprit, fit la même prière que son père ; et le laird se retira ainsi que les voisines. Le lendemain trouva Deans et sa fille plongés dans la même affliction ; mais le vieillard, inspiré par l’orgueil de sa piété, supportait avec un austère courage le poids de l’adversité, et Jeanie imposait silence à sa douleur, de crainte d’éveiller celle de son père.
Telle était la situation de cette famille infortunée le matin qui suivit la mort de Porteous, époque à laquelle nous sommes maintenant arrivés.
CHAPITRE XI.
« Où sont-ils donc ces instans pleins de charmes,
» Où, confondant nos plaisirs et nos larmes,
» Nos cœurs cherchaient querelle au temps jaloux
» Qui séparait deux sœurs dont la tendresse
» Était alors le trésor le plus doux !
» As-tu, ma sœur, oublié ta promesse ? »
SHAKSPEARE. Le Songe d’une nuit d’été.
Nous avons été bien long-temps pour conduire Butler à la porte de la ferme de Saint-Léonard, où nos lecteurs se doutent bien maintenant qu’il se rendait quand nous l’avons abandonné pour faire la narration qui précède. Ils en ont pourtant fait la lecture en moins de temps qu’il n’en passa sur les rochers de Salisbury, le matin qui suivit l’insurrection terminée par la mort de Porteous. Il avait ses motifs pour ce délai : d’abord le besoin de calmer l’agitation dans laquelle il avait été jeté par les évènemens dont il venait d’être témoin, et par la nouvelle qu’il avait apprise de la situation dans laquelle se trouvait la sœur de Jeanie : ensuite à cause de ses rapports avec la famille, il voulait choisir le moment pour arriver chez Deans, et il avait résolu de ne s’y montrer que vers huit heures, c’est-à-dire à l’instant où il déjeunait d’habitude.
Jamais le temps ne lui avait paru s’écouler si lentement : il entendit la grosse cloche de Saint-Gilles sonner successivement toutes les heures, qui étaient répétées ensuite par toutes les autres horloges de la ville. Enfin il compta sept heures, et il crut alors qu’il pouvait commencer à s’approcher de la demeure de David Deans, dont il n’était guère qu’à un mille de distance. Il descendit donc du haut des rochers escarpés de Salisbury dans l’étroite vallée qui les sépare des petites montagnes qui portent le nom de Saint-Léonard. C’est, comme peuvent le savoir quelques uns de mes lecteurs, une vallée sauvage, déserte, couverte d’énormes fragmens de pierres, détachés par le temps de la cime des rochers qui la bordent du côté de l’est.
Cet endroit écarté, comme plusieurs autres dans le parc du roi, servait souvent de rendez-vous aux braves du temps qui avaient quelque affaire d’honneur qu’ils ne pouvaient régler que l’épée à la main. Les duels étaient alors très fréquens en Écosse ; car la noblesse était oisive, orgueilleuse, vindicative, adonnée à la boisson, et ne manquait jamais de causes de querelles, ni d’envie de les vider par un combat singulier. L’épée, qui faisait toujours partie du costume d’un gentilhomme, était alors la seule arme dont on fît usage en pareil cas. Quand donc Butler aperçut un jeune homme qui semblait se cacher entre les débris de rochers épars çà et là dans la vallée, comme s’il eût craint d’être vu, il crut assez naturellement qu’il venait dans ce lieu Solitaire pour un rendez-vous de cette nature,
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