La Prison d'Édimbourg
d’être debout au milieu des paquets de cuir, vendant des selles et des brides ; et j’ai jeté les yeux sur ma petite cousine Effie Deans, qui est tout juste l’espèce de fille qui peut me servir à ne pas perdre contenance dans ces occasions.
Cette proposition plut beaucoup, sous un certain rapport, au vieux David. Sa fille apprendrait un commerce honnête ; elle serait logée et nourrie, recevrait des appointemens, et se trouverait sous les yeux de mistress Saddletree, qui marchait dans le droit chemin, et dont la maison était voisine de l’église de la prison, desservie par un ministre dont le genou n’avait pas fléchi devant Baal, selon l’expression de Deans, c’est-à-dire qui n’avait pas prêté le serment exigé des ministres écossais, depuis la réunion de l’Écosse à l’Angleterre, quoiqu’on fermât souvent les yeux sur le refus que quelques uns faisaient de le prêter. Tout occupé de l’avantage qu’aurait Effie d’entendre la saine doctrine sortir d’une bouche si pure, il ne songeait nullement aux dangers que pouvait courir une fille jeune, jolie, et d’un caractère volontaire, au milieu de la corruption d’une grande ville. La seule chose qu’il regrettât était qu’elle eût à vivre sous le même toit qu’un homme mondain comme Bartholin Saddletree, qu’il était bien loin de regarder comme un ignorant, mais à qui il supposait au contraire toutes les connaissances en jurisprudence que le sellier prétendait avoir, ce qui était un motif pour qu’il le vît de plus mauvais œil : les avocats, les procureurs, et tout ce qui tenait à l’ordre judiciaire, s’étant toujours montrés les plus empressés à seconder le gouvernement dans toutes les mesures prises relativement au serment qui faisait une des plaies de l’Église presbytérienne : et c’était, suivant David Deans, usurper les droits du sanctuaire, anéantir sa liberté. Il eut de longues conférences avec sa fille, pour lui démontrer le danger que courait son âme si elle écoutait les doctrines d’un profane tel que Saddletree, et si elle venait à tomber dans quelque erreur de dogme religieux ; mais il ne pensa nullement à lui recommander d’éviter la mauvaise compagnie, de ne pas se livrer à trop de dissipation, et de conserver soigneusement son innocence ; points sur lesquels bien des pères, à sa place, auraient cru devoir particulièrement insister.
Jeanie se sépara de sa sœur avec un mélange de regrets, de craintes et d’espérances. Ses inquiétudes pour Effie n’étaient pas les mêmes que celles de son père : elle l’avait examinée de plus près, connaissait mieux son caractère, et pouvait apprécier plus exactement les tentations auxquelles elle était exposée. D’une autre part, mistress Saddletree était une femme d’une conduite exemplaire, attentive, soigneuse ; elle aurait le droit d’exercer sur Effie l’autorité d’une maîtresse, et elle le ferait sans doute avec prudence et discrétion. Le départ de sa sœur pour Édimbourg servirait à rompre quelques mauvaises connaissances qu’elle la soupçonnait d’avoir faites dans les environs ; ainsi donc, Jeanie finit par se réconcilier avec l’idée de la voir partir de Saint-Léonard, et ce ne fut qu’au moment des derniers adieux, où elle quitta pour la première fois de sa vie une sœur tendrement chérie, qu’elle sentit toute la douleur que lui causait cette séparation. Tandis que les deux sœurs s’embrassaient tendrement, elle saisit cet instant d’attendrissement pour recommander à Effie de veiller attentivement sur elle-même pendant son séjour dans la capitale. Effie l’écoutait en versant des larmes, sans lever les yeux sur elle, et elle lui promit, en l’embrassant encore, de ne jamais oublier ses bons avis.
Pendant la première quinzaine, Effie fut tout ce qu’avait espéré sa parente, et même mieux. Mais, avec le temps, la ferveur de son zèle se refroidit. Pour citer encore le poète qui peint si bien et si exactement les mœurs actuelles {41} :
Il se passait, disait-on, quelque chose.
Qu’était-ce donc ? On ne le disait pas ;
On chuchotait, on se parlait tout bas.
Tout se saura ; mais à présent nul n’ose
De tous ces bruits deviner le secret.
Pendant ce temps-là, mistress Saddletree était souvent mécontente d’Effie, parce que, lui donnait-on une commission à faire dans la ville, elle y employait trois fois le temps qui aurait été nécessaire, et
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