La Régente noire
douze cent mille livres exigées comptant par Charles Quint, au titre d’avance sur la rançon des princes. Il échut au maréchal de Montmorency d’organiser le convoi des fonds, à l’aide d’une bonne trentaine de mules escortées de trois cents cavaliers en armes. Il fallut des semaines pour recompter les pièces formant cette montagne d’or ; encore les Espagnols, sur la fin, s’avisèrent-ils que la plupart des écus livrés par la France ne présentaient pas le titre requis de vingt-deux carats trois quarts ; il fallut donc ajouter plus de quarante mille écus à la somme initialement prévue...
Enfin, dans le petit matin du vendredi 30 juillet, les princes furent conduits, sous forte escorte, jusqu’au fleuve frontalier de la Bidassoa. Ils allaient s’embarquer pour accomplir, après quatre très longues années, le chemin du retour, quand le connétable de Castille donna l’ordre de tout suspendre. Un éclaireur espagnol venait en effet de lui signaler une concentration de troupes françaises vers Saint-Jean-de-Luz, ce qui lui parut de nature à justifier un ajournement. Les soldats de François n’allaient-ils pas tenter de reprendre par la force ce qui devait leur coûter si cher par la négociation ?
Cette fois, c’est Éléonore de Habsbourg qui intervint. Elle-même jouait il est vrai son avenir ; la petite galère fluviale qui la transportait menaçait, elle aussi, de ne pouvoir quitter la rive espagnole. La reine, hors d’elle, exigea de voir sur-le-champ le duc de Frias. Elle avait attendu des années durant, rongeant son frein ; et voilà qu’au dernier moment, un fonctionnaire frileux prétendait faire obstacle à son bonheur et à la paix ?
— Duc, lança-t-elle au connétable de Castille, tu te moques du roi mon époux, tu te moques de moi, tu te moques de mes beaux-enfants ! Ce que tu fais pourrait te valoir bientôt les pires ennuis ! Alors réfléchis bien ! Et prends la bonne décision avant que je ne m’occupe de toi personnellement, et que je ne fasse de ta personne le plus petit gentilhomme de toutes les Espagnes !
Ainsi la traversée fut-elle autorisée ; ainsi l’échange put-il se faire, entre la galère arrivant d’Espagne et les barques venant de France, l’une amenant les princes et leur escorte espagnole, l’autre convoyant un chapelet de mules chargées d’or.
Au moment de prendre congé des Enfants, le duc de Frias pria le dauphin de lui pardonner de s’être, dans un but de bonne garde, montré parfois dur à leur égard.
— Je n’en conserve nulle rancune, le rassura gentiment le dauphin.
Il n’en fut pas de même avec son frère. Alors que le duc de Frias lui tenait à son tour un discours lénifiant, le jeune prince Henri, gonflant ses joues, fit entendre au connétable, en guise de réponse, un tonitruant bruit de pet – dernière offrande de sa personne aux Espagnols.
Abbaye de Saint-Laurent-de-Beyrie.
I l n’était pas encore minuit, ce glorieux 6 juillet, quand François I er fut en vue de l’abbaye où s’étaient arrêtés, pour y passer la nuit, ses enfants et sa nouvelle épouse. La pleine lune illuminait la campagne alentour, et permettait de distinguer les murs, les toits, les clochers, presque aussi bien qu’en un petit matin dégagé. Quelques heures plus tôt, à Bordeaux, on avait appris la nouvelle du transfert, et le roi n’avait pas caché son allégresse.
— Les Enfants sont recouvrés ! La reine Éléonore est en France ! Dieu éternel, quel honneur, quelle grâce pourrais-je te rendre pour tant de bienfaits ?
Le roi s’était aussitôt mis en route, traversant au galop des villages où l’on criait sur son passage, jetant bonnets et bérets en l’air : « France ! France ! Vive le roi ! »
— Les petits princes ont vécu la plus éprouvante des journées, lui fit remarquer son ami Chabot de Brion, lors d’une halte où l’on changeait de chevaux. Peut-être seront-ils au lit quand nous arriverons...
— Leur excitation est bien trop grande pour cela, rétorqua François. Et je gage que mes fils ne sont pas couchés de sitôt !
Le roi se trompait, et quand il toucha au but, sur les coups sonores de minuit, ce fut pour découvrir le couvent tout endormi. Le duc de Brissac, visiblement rhabillé en hâte, accourut vers son maître, un grand sourire aux lèvres.
— Sire, quel bonheur c’est, pour nous tous, de ramener à Votre Majesté ses enfants en bonne santé, en même temps
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