La Régente noire
union.
Mais à la vérité, on aurait eu tort de conclure de l’identité des envies à celle des motifs. Car si ceux de la reine étaient parfaitement naturels, les raisons du roi, en revanche, appartenaient moins aux sentiments qu’à la politique. Pour lui, il s’agissait d’abord, et surtout, de consommer le mariage afin de le rendre irréversible, et d’empêcher à jamais Charles Quint de revenir sur un consentement arraché de haute lutte.
À huit heures, ils se glissaient dans le même lit. On ne les en vit sortir qu’après deux heures du soir. La reine était radieuse, elle se déclara « très satisfaite » de son mari, ce dont sa mine, ses yeux, son souffle même, témoignaient à l’envi.
Thouars-lès-Bordeaux.
L e roi, la reine, le dauphin, le prince Henri et toute leur suite, enfin réunis, embarquèrent dès l’aube à Podensac, afin de descendre la Garonne jusqu’à Thouars-lès-Bordeaux où la régente, trop souffrante pour aller plus loin, s’était installée quelques jours plus tôt. À mesure que le soleil, d’abord d’un rouge sombre, prenait de la force et que ses rayons blanchissaient, la surface de la rivière se constella de millions d’étincelles qui, dansant autour des trois vaisseaux et des dizaines d’esquifs, parurent composer le décor d’un conte de fées.
C’était, au mot près, le sentiment de la reine Éléonore, envahie, depuis la veille, d’une impression de gratitude comblée. Ses beaux-fils, en revanche, étaient moins radieux – le prince Henri, surtout, dont l’humeur sombre et les remarques à peine aimables trahissaient le trouble. Se pouvait-il que l’exil et la prison l’eussent à ce point marqué ? De temps à autre, le roi jetait un œil inquiet à son cadet ; et s’il ne lui fit pas de nouvelle remarque sur son air maussade, ce ne fut pas faute d’en avoir eu cent fois l’envie.
— Ma mère, comme vous savez sans doute, est fort malade, expliquait-il à sa femme. Elle est alitée depuis son arrivée à Thouars, et ne se lèvera peut-être même pas pour vous accueillir... Pardonnez-lui d’avance, je vous en supplie, des rudesses et des manquements que son âge n’excuse peut-être pas, mais que les épreuves de toute une vie justifient grandement.
Éléonore, au vrai, voulait bien tout comprendre, tout pardonner. Elle n’en eut pas le loisir ; et non seulement Madame allait mettre un point d’honneur à se lever et à se faire coiffer et habiller pour se présenter à elle sous le jour le plus convenable, mais elle devait faire preuve, dans cette circonstance, d’une amabilité extrême.
Toutefois, avant de recevoir sa belle-fille, Madame eut à cœur d’accueillir ses petits-enfants. Les yeux pleins de larmes, elle reçut comme le Messie ces deux garçons qu’elle avait laissés au sortir de l’enfance, et qu’elle retrouvait adolescents déjà mûrs.
Le prince Henri, tournant les yeux de tout côté, cherchait sa belle fée Urgande ; mais Mme de Brézé se trouvait dans la pièce voisine, avec les dames d’honneur.
Le roi François avait prié la belle Diane de l’accompagner sur un balcon, d’où l’on apercevait les navires appontés, tout parés d’oriflammes bleu fleur-de-lissé.
— Madame, expliqua-t-il à la grande sénéchale, je ne crois pouvoir mieux faire que de m’ouvrir à votre expérience de l’inquiétude où me plonge l’humeur noire de mes fils, à commencer par le prince Henri.
— Sire, à quoi Votre Majesté s’attendait-elle ?
— Certes, madame... Mais tout de même ! Comment agiriez-vous, dans ma situation ?
— Je connais bien le dauphin, répondit Diane, et mieux encore le prince Henri. Que Votre Majesté me les envoie quelque temps à Anet ; M. de Brézé et moi nous chargerons de les civiliser...
— Je n’en attendais pas moins de votre bon sens ! C’est une idée que je trouve excellente.
Le roi marqua un silence.
— Tout de même, dit-il, Henri m’inquiète.
— Non, sire, tranquillisez-vous. J’en saurai faire mon galant...
Le roi, du coin de l’œil, détailla l’air impénétrable et cependant léger de cette femme encore jeune et déjà si mûre. Derrière elle, vers le Ponant, le fleuve avait pris des reflets mauves, exactement assortis à ses yeux.
Ce soir-là, Diane de Brézé demeura longtemps à méditer sur le cours étrange des destinées humaines. Pour elle, le sort avait pris l’apparence d’un tout jeune prince assez ténébreux,
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