La Régente noire
château d’Amboise. Ils devaient avoir bien grandi, bien changé... Madame pria Dieu de la conserver en vie assez longtemps pour lui permettre, au moins une fois, de les serrer sur son vieux cœur réputé si sec !
Forteresse de Pedrazza.
J ean Bordin prenait très au sérieux la mission de confiance que lui avait donnée la régente. Après un voyage long et difficile, en proie aux tracasseries d’une administration impériale bien décidée à lui compliquer la tâche, il se présenta au pied de la tour de Pedrazza. L’accueil aux écuries fut glacial, mais pas pire que celui des sentinelles. Après avoir passé une journée entière au poste de garde, pendant que l’on contrôlait ses laissez-passer, Bordin fut mené chez le marquis de Berlanga, fils du connétable de Castille. C’est lui qui le mena en personne, par une suite d’escaliers abrupts, jusqu’à la chambre – pour ne pas dire le cachot – des jeunes princes.
Il trouva le dauphin et le duc d’Orléans assis sous la fenêtre, sur de petits sièges de pierre. Vêtus sobrement, et même pauvrement, de saies de velours noir et de bonnets sans aucun ornement, ils jouaient avec deux petits chiens assez pouilleux...
Outré de ce qu’il découvrait, l’envoyé de la régente s’insurgea.
— Le cachot que vous me montrez, dit-il en aparté au marquis de Berlanga, est digne de criminels endurcis. Est-il possible que vous ayez eu le cœur d’y reclure deux enfants ?
Le Grand d’Espagne ne trouva rien à répondre. Alors Bordin, le cœur serré, s’avança dans la pièce et, s’inclinant profondément devant le dauphin, prononça, le cœur serré, les paroles qu’il avait préparées de longue date.
— Monseigneur, je viens exprès vers vous et vers le prince Henri de la part du roi votre père, de la régente, votre grand-mère, et de votre tante la reine de Navarre. Apprenez, monseigneur, qu’un traité de paix vient enfin d’être conclu, et que très bientôt vous pourrez revenir en France, où le peuple tout entier vous appelle de ses vœux !
L’émissaire s’attendait à un débordement de joie de la part des enfants. Mais le dauphin, se tournant simplement vers le marquis de Berlanga, lui dit d’un air triste, en espagnol, qu’il n’avait pas compris.
— N’entendez-vous plus le français ? demanda Jean Bordin en espagnol.
— Comment l’entendrais-je, n’ayant plus, depuis longtemps, aucun de mes gens pour le parler ?
Alors l’huissier de la régente, ébahi, stupéfait que son prince ait pu oublier jusqu’à sa langue maternelle, traduisit en castillan, pour les Enfants de France, des mots dont ils avaient perdu jusqu’à l’intelligence.
Cependant, le duc d’Orléans s’était levé ; plus vif que le dauphin, apparemment plus à l’aise en français, il fit observer à son frère que leur visiteur n’était autre que l’huissier Bordin.
— Je le sais bien, rétorqua François. Je l’ai reconnu.
Ayant finalement répondu à la curiosité des deux frères sur la santé des leurs et les affaires de la famille, le malheureux envoyé de la régente se retira – non sans avoir échangé quelques amabilités bien senties avec le geôlier des princes.
Le lendemain, il voulut revenir afin d’offrir aux adolescents des bonnets de velours garnis d’ornements d’or et de plumes blanches. On le lui refusa. Il dut encore batailler ferme pour parvenir à ses fins ; et quand, tout de même, il fut arrivé au sommet de la tour et mis en présence des prisonniers, le capitaine de Peralta s’interposa entre lui et ses jeunes maîtres. Les consignes, très strictes, interdisaient aux princes tout vêtement, toute coiffure en provenance de l’extérieur – par crainte du poison ou de quelconques sortilèges. Les malheureux durent donc se contenter d’observer les bonnets sans les mettre – et sans trop y toucher.
De même, quand il voulut, à la demande expresse de la grand-mère Louise de Savoie, mesurer la taille des princes, on s’efforça de le maintenir à distance ; il ne lui restait plus qu’à s’incliner tristement devant les deux garçons, et à prier que leur captivité s’achevât au plus vite...
Quand il repassa par l’écurie pour reprendre sa monture, Jean Bordin ne put que constater la blessure qu’on avait infligée au cheval : un coup de poignard en plein dans l’épaule.
Manoir d’Anet.
L a Sainte-Diane fut splendide, au printemps 1530, et les Brézé choisirent
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