La règle de quatre
d’un stylo sur son bureau et commence à compter, quatre en bas, dix à droite, deux au-dessus, et six à gauche.
J’écris les lettres S-O-L-U-T
— Et maintenant, recommence, dit Paul, cette fois à partir de la dernière lettre.
Je reprends donc à partir du T.
Et voilà, en toutes lettres, sur la page : S-O-L-U-T-I-O-N.
— C’est la Règle de Quatre, dit Paul. C’est tellement simple, une fois qu’on a compris comment fonctionnait le cerveau de Colonna. Quatre indications dans le texte. Il suffit de le répéter ad infinitum, puis de déterminer la ponctuation.
— Mais il lui aura fallu une éternité pour écrire ça !
Paul acquiesce.
— Ces passages un peu biscornus del’ Hypnerotomachia m’ont toujours troublé. Parfois, c’est un mot qui me semble mal choisi, ou une préposition qui n’est pas à sa place. Ou encore je bute sur un néologisme vraiment bizarre. Je comprends mieux, maintenant. Francesco écrivait en fonction de son modèle. Ce qui explique l’emploi des toutes ces langues différentes. Quand ça ne marchait pas dans sa langue vernaculaire, il passait au latin, au grec, ou il inventait autre chose. Mais son modèle est loin d’être parfait. Regarde.
Paul me montre la ligne où se trouvent le O, le L et le N.
— À chaque deuxième ligne del’ Hypnerotomachia, Francesco a dû se creuser les méninges pour pondre un texte qui collait avec quatre lettres différentes. Mais ça marche. Et il aura fallu cinq cents ans pour le comprendre.
— Oui, sauf que dans le livre les lettres ne sont pas alignées de façon aussi régulière, dis-je, curieux de savoir comment sa technique s’applique à l’ouvrage imprimé par Alde. Les lettres ne sont pas réparties sur une grille. Comment sais-tu ce qui correspond exactement au nord ou au sud ?
— C’est impossible, en effet. Il est difficile de repérer la lettre qui est vraiment au-dessus ou en dessous d’une autre. J’ai donc établi un modèle mathématique et non graphique.
J’écoute, fasciné par la virtuosité avec laquelle il passe, à partir de la même idée, d’une complexité désespérante à une simplicité lumineuse.
— Prends mon texte, par exemple. Chaque ligne comporte dix-huit lettres, n’est-ce pas ? « Quatre sud » sera donc toujours quatre lignes plus bas, c’est-à-dire soixante-douze lettres après la lettre de départ. Si on raisonne mathématiquement, « deux nord » signifie trente-six lettres à gauche. Quand on connaît la longueur de la ligne de départ de Francesco, tout le reste en découle. Au bout d’un certain temps, on compte assez vite.
Il m’apparaît maintenant qu’à l’époque où nous travaillions ensemble surl’ Hypnerotomachia , la seule chose que je pouvais opposer à sa vitesse de raisonnement était mon intuition : la chance, le rêve, le hasard des associations. Qu’il me considère comme son égal me semble désormais totalement injustifié.
Il replie la feuille, la jette au panier. Puis, après un coup d’œil circulaire, il se lève, saisit une pile de livres et me la met dans les bras. L’analgésique est certainement efficace, car aucune douleur ne transperce mon épaule.
Je n’en reviens pas que tu aies trouvé ! Et ça donne quoi, comme message ?
— Avant d’en parler, je voudrais que tu m’aides à rapporter ces livres. Il faut vider la pièce.
— Pourquoi ?
— Pour être couvert.
— Vis-à-vis de quoi ?
— Des amendes de retard, répond-il avec un demi-sourire.
Nous quittons le box. Il m’entraîne dans un long couloir qui s’enfonce dans le noir, tapissé d’étagères s’étirant à l’infini. Si peu de gens fréquentent cette partie de la bibliothèque que le personnel s’abstient de l’éclairer, laissant aux rares visiteurs le soin d’allumer la lumière au-dessus du rayon qui les intéresse.
— Je n’arrivais pas à le croire, reprend Paul. J’ai commencé à trembler avant même d’avoir fini de décoder. Après tout ce temps, c’était terminé. Terminé !
Il s’arrête devant une des étagères du fond. Je n’aperçois plus que son profil.
— Et ça valait le coup, Tom. Je ne soupçonnais rien, je ne pouvais même pas deviner ce qu’il y avait dans la deuxième partie. Tu te souviens de la lettre de Bill ?
— Oui.
— C’est un tissu de mensonges. Tu sais, toi, que tout est le fruit de mon travail. Bill s’est contenté de traduire quelques phrases en
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