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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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mes gardes quand je rencontrai Paul. Durant mes deux dernières années de lycée, j’avais fait beaucoup d’efforts pour changer : si je sentais une douleur dans la jambe, je continuais de marcher ; quand l’instinct me dictait de passer devant une porte sans m’arrêter — celles du gymnase, de la voiture d’un nouveau copain ou de la maison d’une fille qui me plaisait un peu —, je me forçais à frapper et même parfois à entrer. Quand je vis Paul la première fois, je pressentis qu’il incarnait ce que j’aurais pu devenir.
    Avec ses cheveux en bataille, un lacet dénoué et le livre dont il ne se séparait pas, il tenait plus de l’enfant que de l’homme. Lorsqu’il se présenta à moi, il crut bon de citer d’embléel’ Hypnerotomachia. Ça y est, me dis-je : je le connaissais mieux que je ne l’aurais souhaité. Il m’avait suivi dans un café près du campus alors que le soleil se couchait déjà en cette fin d’après-midi de septembre. Mon instinct me soufflait de prendre mes jambes à mon cou et de m’arranger par la suite pour l’éviter systématiquement.
    J’étais sur le point de prendre congé quand, en une phrase, il m’obligea à me raviser.
    — J’ai le sentiment que c’est aussi un peu mon père.
    Je n’avais pas encore évoqué l’accident mais c’était précisément la chose qu’il ne fallait pas dire.
    — Tu ne sais rien de lui, objectai-je d’une voix blanche.
    — Ce n’est pas vrai. J’ai lu tout ce qu’il a écrit.
    — Écoute…
    — J’ai même mis la main sur sa thèse.
    — Un homme ne se réduit pas à ses écrits. On ne peut pas se satisfaire de le lire.
    Mes protestations tombèrent dans l’oreille d’un sourd.
    —  La Rome de Raphaël, 1974. Finico et la renaissance de Platon, 1979. Les Hommes de Santa Croce, 1985.
    Il comptait sur ses doigts.
    —  «  L’ Hypnerotomachia Poliphili et les Hiéroglyphes d’Apollodore », dans l’édition de juin 1987 des Cahiers de la Renaissance. « Le médecin de Léonard » dans Le Journal d’histoire médicale, 1989.
    Il égrenait ses travaux dans l’ordre chronologique, sans l’ombre d’une hésitation.
    — « Fabricants de haut-de-chausses » dans Le Journal d’histoire interdisciplinaire, 1991.
    — Tu as oublié les articles du BSAR, intervins-je.
    Le Bulletin de la Société américaine de la Renaissance.
    — C’était en 1992, riposta Paul.
    — Non, en 1991.
    Il fronça les sourcils.
    — Ils ont commencé à accepter des articles de chercheurs non membres en 1992. Tu te souviens ? En automne.
    Nous restâmes un moment silencieux. Il semblait troublé. Pas parce qu’il s’était trompé, mais parce que c’est moi qui faisais erreur.
    — Il l’a peut-être écrit en 1991, ajouta Paul. Mais il a été publié en 1992. C’est ce que tu voulais dire ?
    Je hochai la tête.
    — Alors tu as raison, c’était en 1991. Et puis il y a ça.
    Il me tendit le livre qu’il tenait à la main. La première édition du Document Belladone. Il soupesa avec respect.
    — C’est son meilleur. Tu y étais quand il l’a trouvée ? Je veux dire ; la lettre sur Colonna ?
    — Oui.
    — Qu’est-ce que j’aurais donné pour y être ! Ça devait être incroyable !
    Je fixai un point derrière son épaule ; à travers la fenêtre, les feuilles des arbres rougissaient. Il pleuvait.
    — Ça l’était, oui, murmurai-je.
    Paul secoua la tête.
    — Tu as vraiment beaucoup de chance.
    Il tournait doucement les pages du livre.
    — Il est mort il y a deux ans, lui dis-je. Un accident de voiture. J’étais avec lui.
    — Pardon ?
    — Il est mort juste après avoir écrit ça.
    Sur la vitre, la condensation arrondissait les angles. Dehors, un homme marchait à grandes enjambées, la tête recouverte d’un journal pour se protéger de l’averse.
    — Un chauffard ? me demanda-t-il.
    — Non, mon père a perdu le contrôle de la voiture.
    Paul frotta l’illustration sur la jaquette du livre. Un emblème : un dauphin et une ancre, logo avant-gardiste des éditions aldines de Venise.
    — Je… je ne savais pas, balbutia-t-il.
    — Ça va.
    Un silence. Plus long qu’il n’y en aurait jamais par la suite entre nous.
    — Mon père est mort quand j’avais quatre ans, reprit-il. D’une crise cardiaque.
    — Je suis désolé.
    — Merci.
    — Et ta mère, elle fait quoi ?
    Paul repéra une pliure sur la jaquette et entreprit de la lisser.
    — Elle est

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