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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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l’avait jamais su. De ce jour, l’opinion générale s’accorda pour dire qu’il s’agissait d’un moine italien dénommé Francesco Colonna. Mais pour les membres du petit groupe de chercheurs inspirés par McBee, le fameux acrostiche n’était, si j’ose dire, que la partie émergée du mystère. Et ils entendaient bien percer le reste à jour.
    L’été de mes quinze ans, la découverte d’un document valut à mon père son titre de gloire. Cette année-là — l’année qui précéda l’accident de voiture —, je l’accompagnais dans un voyage de recherche qui devait nous conduire dans un monastère du sud de l’Allemagne puis aux bibliothèques du Vatican. À Rome, nous logeâmes dans un studio meublé de deux lits pliants et d’une chaîne stéréo antédiluvienne, et, pendant cinq semaines, avec la précision d’un supplice médiéval, mon père portait son choix sur tel ou tel chef-d’œuvre de Corelli, en me réveillant au son des violons et des clavecins à 7 h 30 précises, façon de me rappeler que la recherche ne souffrait aucun délai.
    Quand j’ouvrais un œil, je le trouvais qui se rasait au-dessus du lavabo, repassait ses chemises ou comptait les billets dans son portefeuille, tout en fredonnant la mélodie qui m’avait arraché au sommeil. Mon père n’était pas très grand et il prenait un soin jaloux de son apparence, épilant les rares fils gris qui se perdaient dans sa masse de cheveux bruns comme le fleuriste enlève à la rose ses pétales fanés. Il s’efforçait de préserver sa vitalité intérieure, cette vivacité que les rides et les pattes-d’oie altéraient selon lui, et quand mon imagination s’émoussait après les kilomètres de livres que nous dévorions, il compatissait sans discussion. À l’heure du déjeuner, nous sortions déguster des pâtisseries et des glaces ; le soir, il jouait les guides touristiques. Une nuit, il me fit faire la tournée des fontaines de Rome et m’obligea à lancer une pièce dans chaque bassin en guise de porte-bonheur.
    — Une pour Sarah et une pour Kristen, énonça-t-il devant la Barcaccia. Pour que soient raccommodés leurs cœurs brisés.
    Peu avant notre départ, mes sœurs avaient en effet connu de cruelles déceptions sentimentales. Mais mon père n’était pas mécontent de savoir ses filles célibataires.
    — Et une pour ta mère, dit-il devant le Tritone, qui a le courage de me supporter.
    Quand la demande de subvention pour cette recherche avait été refusée, ma mère avait ouvert la librairie tous les dimanches pour aider mon père à financer son expédition européenne.
    — Et une pour nous, dit-il enfin devant les Quattro Fiumi : Puissions-nous trouver ce que nous cherchons.
    Ce que nous cherchions, je l’ignorais. Du moins jusqu’à ce que nous tombions dessus. Je savais cependant que mon père était convaincu que l’exégèse del’ Hypnerotomachia était dans une impasse parce qu’on confondait l’arbre avec la forêt. Le soir, à l’heure du dîner, martelant le poing sur la table, mon père scandait que ses détracteurs s’enfonçaient la tête dans le sable. Le livre était trop ardu pour qu’on le comprenne de l’intérieur, m’assurait-il ; mieux valait découvrir des documents annexes qui s’intéressaient à l’auteur et aux raisons qui l’avaient poussé à produire une telle œuvre.
    En réalité, mon père s’était aliéné bon nombre de ses confrères avec cette vision étroite de la vérité. Sans la fameuse trouvaille qui survint au cours de l’été, notre famille aurait sans doute été forcée de subsister aux crochets de la librairie. Mais la chance sourit à mon père, un an avant qu’elle ne se retourne contre lui.
    Au troisième étage d’une des bibliothèques du Vatican, un peu à l’écart, dans une allée aux murs tapissés d’ouvrages livrés à la poussière que même le plumeau des moines dédaignait, alors que nous cherchions l’indice qu’il traquait depuis des années, mon père découvrit, insérée entre les pages d’un imposant volume, une lettre adressée au prêtre d’une église romaine. Datée de deux ans avant la publication del’ Hypnerotomachia, elle racontait l’histoire d’un fils de bonne famille : Francesco Colonna.
    Il n’est pas aisé de retranscrire ici l’état d’excitation dans lequel le nom de Colonna plongea mon père. Pendant qu’il lisait, ses lunettes cerclées de fer glissaient sur son nez et lui

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