La règle de quatre
de préciser que pénétrer par effraction dans un monument historique grâce à un jeu de clefs volé puis de fuir les proctors sur ma mauvaise jambe, afin d’emporter un battant de cloche sans valeur, ne m’enthousiasmait guère. Tous ces risques pour connaître un quart d’heure de gloire… Mais à force d’arguments, Charlie vainquit mes résistances : les étudiants de troisième et de quatrième année ne s’intéressent qu’à leurs examens et à leurs mémoires ; en deuxième, c’est le choix d’un sujet de recherche et le rattachement à un club qui anime les discussions. Restait pour briller, aux étudiants de première année, la prise de gros risques. Le président de la faculté serait indulgent avec les nouvelles recrues, disait-il, et ce serait la dernière fois.
Charlie avait besoin de deux comparses, et un vote démocratique entérina ce projet. Nos deux voix l’emportèrent sur celle de Paul par une courte majorité. Ce dernier n’étant pas du genre à jouer les trouble-fêtes, il s’était rangé à nos côtés. Lui et moi ferions le guet pendant que Charlie se lancerait à l’assaut du clocher. Et à minuit, vêtus de noir, nous étions tous les trois au pied de Nassau Hall.
Le nouveau Tom — celui qui avait réchappé du terrible accident de voiture — était plus aventureux que l’ancien — le Tom pusillanime de l’enfance. Mais il est entendu que ni l’un ni l’autre n’avait l’étoffe d’un cascadeur. Je restai longtemps à mon poste, tendu, immobile, trempé de sueur, guettant les ombres et sursautant au moindre bruit. Puis, peu après 1 heure du matin, les premiers clubs fermèrent leurs portes, et une vague d’étudiants et d’agents de sécurité déferla en direction du campus. Charlie avait juré que nous aurions décampé bien avant.
Je chuchotai à Paul :
— Mais pourquoi c’est si long ?
Pas de réponse.
J’appelai de nouveau :
— Qu’est-ce qu’il fait là-haut ?
Je quittai mon poste et je remarquai que la porte de Nassau Hall était restée entrouverte. Paul et Charlie conversaient à mi-voix.
— Ils l’ont vraiment enlevé, disait Charlie.
— Magnez-vous, m’écriai-je, ils arrivent !
Une voix aboya dans mon dos :
— Police du campus ! Restez où vous êtes !
Charlie se tut aussitôt. Je crois me rappeler que Paul jura.
— Les mains sur les hanches, dit de nouveau la voix.
Je fus submergé par une bouffée d’angoisse. J’imaginais le pire, le blâme, les avertissements du président de l’université, l’expulsion.
— Les mains sur les hanches ! répéta la voix, plus fort.
J’obtempérai.
Nous restâmes un moment silencieux, immobiles. J’essayais de distinguer le visage du proctor dans le noir, en vain. Puis un éclat de rire retentit.
— Eh bien, dansez maintenant.
Un étudiant sortit de l’ombre, esquissant une rumba chancelante. Ses cheveux noirs lui tombaient sur le visage et il portait un blazer impeccablement coupé sur une chemise blanche largement ouverte sur le torse.
Charlie et Paul sortirent lentement de Nassau Hall, bredouilles.
Le jeune homme s’avança vers eux et montra le clocher en souriant.
— Alors, c’est vrai ?
— Quoi ? grogna Charlie en me lançant un regard furieux.
— Le battant, ils l’ont vraiment enlevé ?
Charlie ne répondit pas, mais Paul hocha la tête.
Notre nouvel ami réfléchit un instant.
— Mais vous êtes montés, n’est-ce pas ?
Je commençais à comprendre où cela nous mènerait.
— Vous ne pouvez pas partir comme ça, déclara-t-il.
Ses yeux pétillaient de malice. Charlie saisit immédiatement. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je retrouvai mon poste de vigile et les trois autres disparurent dans Nassau Hall.
Quinze minutes plus tard, ils étaient de retour, en caleçon.
— Mais qu’est-ce que vous avez fait ?
Ils avançaient, bras dessus, bras dessous, en se trémoussant. Attachées à la girouette du clocher, six jambes de pantalons flottaient dans le ciel.
Je balbutiai qu’il fallait rentrer, mais, après des coups d’œil complices, mes compagnons me huèrent. L’inconnu voulait fêter ça dans un des clubs de l’université. Il suggéra l’Ivy, sachant qu’à cette heure, sur Prospect Avenue, personne ne nous forcerait à nous rhabiller. Charlie approuva bruyamment.
Sur le chemin, notre nouvel ami nous raconta ses frasques de lycée : il avait teint en rouge l’eau de la piscine
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