Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
Vom Netzwerk:
s’inquiéter. L’ Hypnerotomachia envahissait lentement mon esprit, noyautait tous mes centres d’intérêt. L’équilibre que je pensais avoir réussi à maintenir entre mon mémoire et celui de Paul, cette valse entre Mary Shelley et Francesco Colonna, que la fréquentation de Katie rendait plus saisissante encore, se transformait en une lutte féroce dont Colonna, petit à petit, sortait vainqueur.
    Mes rapports avec Katie n’en demeuraient pas moins idylliques. Nous courions toujours ensemble le matin, nous arrêtions dans les mêmes cafés avant d’aller en cours ; nous déjeunions ensemble, dansions tous les jeudis soir au Cloister Inn, en compagnie de Charlie et Gil. Le samedi soir, billard à l’Ivy Club avec Gil ; le vendredi, quand tout le monde désertait les clubs de Prospect Avenue, nous allions voir des amis interpréter une comédie de Shakespeare, jouer dans un orchestre ou chanter dans un de ces concerts a cappella qui rythmaient la vie nocturne du campus.
    Notre intimité grandissait de jour en jour. J’éprouvais ce que je n’avais jamais connu avec Lana et les autres, une joie comparable à celle qu’on ressent lorsqu’on rentre chez soi après une longue absence, un bien-être provoqué par un équilibre parfait.
    La première fois qu’elle remarqua que je souffrais d’insomnie, Katie me lut à voix haute les vieux livres de mon enfance, notamment les aventures exotiques de son personnage préféré, George, le petit singe curieux, équipées qui le menaient au bout du monde et moi jusqu’aux bras de Morphée. Elle renouvela l’expérience, trouvant chaque fois une solution nouvelle à mes nuits sans sommeil : des épisodes de M*À*S*H rediffusés à des heures tardives, des morceaux choisis de Camus, des émissions de radio qu’elle écoutait chez elle et que nous captions à peine. Nous laissions parfois les fenêtres ouvertes pour écouter la pluie de cette fin de février ou les conversations de nos condisciples un peu trop éméchés. Nous inventions même des comptines, que Francesco Colonna n’aurait peut-être pas trouvées aussi intéressantes que la rithmomachie, mais qui nous amusaient beaucoup.
    — Il était une fois un dénommé Camus…, lançais-je, lui laissant le soin d’improviser la suite.
    Dans la pénombre, ses yeux luisaient comme ceux d’un chat. Elle souriait et chantonnait :
    — Qui arriva d’Alger bien mal vêtu…
    — Il avait un fort potentiel…
    — Mais rien d’existentiel…
    — Sartre en fut tout ému.
    Malgré tous les efforts qu’elle déployait pour m’endormir, l’ Hypnerotomachia me tenait éveillé plus souvent qu’à mon tour. J’avais trouvé le sens de « la plus petite harmonie d’une grande victoire ». Dans la rithmomachie, où il s’agissait, pour le joueur, de créer avec des suites de chiffres des harmonies arithmétiques, géographiques ou musicales, seules trois suites aboutissaient simultanément aux trois harmonies, ce qui entraînait la grande victoire. La plus petite de ces suites, celle à laquelle Colonna faisait référence, se composait des chiffres suivants : 3-4-6-9.
    C’était un code. Paul n’eut aucun mal à l’utiliser. Dans les chapitres appropriés, il cocha la troisième lettre, puis la quatrième après la troisième, ensuite la sixième et enfin la neuvième. Une heure plus tard, nous déchiffrions un nouveau message de Colonna :
     
    Je commencerai mon récit par une confession. À cause de mon secret, beaucoup d’hommes sont morts. Certains périrent durant l’édification de ma crypte, dessinée par Bramante et bâtie par mon frère romain Terragni. Conçu pour résister à toutes les agressions, surtout les inondations, cet édifice unique fit de nombreuses victimes, même parmi les ouvriers les plus chevronnés. Trois d’entre eux furent broyés en déplaçant de lourdes pierres, deux furent écrasés par des arbres abattus et cinq perdirent la vie lors de la construction elle-même. Je ne mentionnerai pas ceux qui connurent un trépas honteux et ne méritent que l’oubli.
    Laisse-moi te parler, à présent, de l’ennemi que j’affronte et dont la menace grandissante motive toutes mes actions. Lecteur, tu vas te demander pourquoi j’ai daté ce livre de 1467, quelque trente ans avant d’écrire ces mots. En voici la raison : cette année marque le début d’une guerre qui fait toujours rage, et que nous sommes sur le point de perdre. Trois ans avant cette date, Sa

Weitere Kostenlose Bücher