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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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impossibles, voilà l’opium des perfectionnistes.
    Katie lui lance un regard d’encouragement et Sam poursuit sa retranscription.
    — De quoi voulais-tu me parler ? dis-je.
    Mais Katie m’entraîne dans la chambre noire.
    — Il fait un peu chaud, là-dedans, déclare-t-elle, écartant de lourds rideaux noirs. Tu veux peut-être enlever ton manteau ?
    J’accroche mon pardessus sur une patère, derrière la porte. Depuis ma rencontre avec Katie, j’ai toujours soigneusement évité de mettre les pieds dans cette pièce, terrifié à l’idée d’abîmer ses négatifs.
    — Accorde-moi deux secondes, ajoute-t-elle. J’ai presque fini.
    Elle soulève le couvercle d’une petite boîte cylindrique, en sort un négatif qu’elle rince à l’eau courante. La chambre noire est petite et encombrée, les comptoirs croulent sous les plateaux et les bassines, les étagères sont bourrées de bains d’acide et de fixateurs. Ici, les mouvements de Katie frôlent la perfection. Je me sens un peu inutile. Je suggère, à tout hasard :
    — Tu veux que j’éteigne ?
    — Ce n’est pas nécessaire, à moins que tu en aies envie. Les négatifs sont fixés.
    J’ai l’impression d’être un épouvantail au milieu de la pièce.
    — Paul tient le coup ?
    — Ça va.
    Un ange passe et elle semble perdre le fil de la conversation. Elle s’affaire autour d’une autre série de négatifs.
    — Je suis passée par Dod Hall vers minuit et demi, reprend-elle. Charlie m’a dit que tu étais avec Paul.
    Dans sa voix perce une pointe de compassion.
    — C’est gentil de ta part de l’accompagner, ajoute-t-elle. Ça doit être terrible pour lui. Pour tout le monde.
    Je voudrais lui parler des lettres de Stein, mais il faudrait tout expliquer et je n’en ai pas le courage. Elle revient vers moi, la main chargée de clichés.
    — Qu’est-ce que c’est ?
    — J’ai développé nos photos.
    — Celles du chêne ?
    — Elle acquiesce.
    Katie m’a fait découvrir un endroit magique, un terrain vaste et plat au milieu de ce qui fut jadis un champ de bataille. Plus vaste et plus plat que toutes les terres situées à l’est du Kansas, le Princeton Battlefield Park est gardé en son cœur par une sentinelle, un chêne solitaire qui refuse d’abandonner son poste, hommage ultime aux faits d’armes du général Mercer, qui succomba sous ses branches pendant la guerre d’Indépendance. Katie a repéré l’endroit dans un film avec Walter Matthau. Depuis, cet arbre est pour elle une source d’enchantement perpétuel. Il fait partie de ces rares lieux qui, chaque fois qu’elle s’y rend, l’ancrent davantage dans l’existence. Quelques jours après sa première nuit à Dod, elle me conduisit devant le vieux chêne de Mercer, comme s’il s’agissait d’un membre de sa famille et que la première impression qu’il se ferait de moi était capitale pour nous trois. J’avais apporté une couverture, une lampe de poche et un panier de pique-nique. Katie, des pellicules et son appareil photo.
    Nous regardons ensemble ces images de nous. Les photos passent d’une main à l’autre.
    — Qu’en penses-tu ? demande-t-elle.
    Elles me rappellent la douceur de cet hiver. La lumière de janvier a la couleur du miel. Nous portons tous les deux un chandail léger, sans les manteaux, les bonnets, les écharpes et les gants habituels. L’écorce de l’arbre, derrière nous, est marquée par l’âge.
    — Elles sont magnifiques.
    Katie sourit de façon bizarre : elle a toujours du mal à accepter un compliment. Je remarque les taches sur ses doigts, l’encre d’imprimerie laissée par un des composés qui dorment, dans les bouteilles alignées contre le mur de la chambre noire. Elle a de longs doigts très fins, souillés par ce résidu qui trahit un contact avec trop de pellicules trempées dans de trop nombreux bains chimiques. Ce qu’elle essaie de me dire m’émeut plus que toutes les déclarations. « C’était nous. Tu te souviens ? » Je ne peux m’empêcher de chuchoter :
    — Je suis désolé.
    Elle cherche mes doigts de sa main libre.
    — Ce n’est pas à cause de mon anniversaire, répond-elle, craignant un malentendu.
    J’attends.
    — Où étais-tu, hier soir, après avoir quitté Holder ?
    — Je suis allé voir Bill Stein avec Paul.
    Elle réfléchit quelques secondes.
    — Pour son mémoire ?
    — C’était urgent.
    — Oui, mais je suis passée chez toi juste après

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