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La règle de quatre

La règle de quatre

Titel: La règle de quatre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ian Caldwell
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garée dans la rue.
    Il s’y prit à trois fois avant d’arriver à démarrer. Ensuite, par provocation ou par vanité, il fit ronronner le moteur pendant une longue minute avant de partir en trombe. Katie n’avait pas eu un regard pour moi. Elle paraissait furieuse, comme si tout cela était ma faute et non la sienne. J’étais indigné, mais je n’avais pas d’autre choix que de me résigner. Elle pouvait se le garder, son Donald Morgan. Et faire son lit à l’Ivy Club.
    Bien sûr, j’étais seul responsable de ce désastre. J’essayais de résoudre la quatrième énigme depuis des semaines. Que peuvent avoir en commun un coléoptère aveugle, un oiseau de nuit et un aigle au bec déformé ? Ma chance avait tourné, l’inspiration m’avait déserté. Les penseurs de la Renaissance ont abondamment traité les sujets animaliers. Les gravures de Carrache avaient été réalisées l’année de parution du premier des quatorze volumes d’une histoire naturelle d’Ulisse Aldrovandi, éminent savant italien qui avait une conception assez particulière de la classification des espèces. Pour preuve, ses deux pages sur l’identification des différentes sortes de poulets, à côté des trois cents autres consacrées à la mythologie du poulet, aux recettes de poulet et même au maquillage à base de poulet.
    Cela étant, Pline l’Ancien, le grand naturaliste de l’Antiquité, entretenait bien son lecteur de licornes, de basilics et de manticores au milieu de pages consacrées aux rhinocéros ou aux loups, et dissertait de la manière de déterminer le sexe d’un fœtus grâce à des œufs de poule. Après dix jours à sécher sur l’énigme, je me sentais aussi démuni que ce dauphin qu’il décrit, enchanté par la musique des hommes mais incapable de produire un son. Colonna avait certainement eu une idée brillante derrière la tête ; moi, je pataugeais.
    Trois jours après avoir croisé Katie au café, je m’aperçus que j’avais oublié une première échéance importante. Enterré sous une pile de photocopies de textes d’Aldrovandi, le brouillon de la conclusion de mon mémoire sur Frankenstein attendait d’être soumis à mon directeur de recherche. Devant mes yeux injectés de sang, et persuadé que seule Mary Shelley me tenait éveillé toutes les nuits, ce bon vieux professeur Montrose ne s’en formalisa pas trop. Après avoir manqué la deuxième échéance, je plongeai doucement dans la pire période de ma vie d’étudiant à Princeton. Et pendant quelques semaines, personne ne sembla s’apercevoir que je me retirais lentement de ma propre existence.
    Je dormais toute la matinée et ne me présentais aux cours que l’après-midi, totalement obnubilé par l’énigme. Paul posa plus d’une fois son crayon assez tôt dans la soirée, c’est-à-dire vers 23 heures, pour aller grignoter un sandwich avec Charlie chez Hoagie Haven, un restaurant grec très prisé par les noctambules de Princeton. Ils m’invitaient toujours à les accompagner avant de demander si je voulais quelque chose. Je refusais systématiquement, parce que j’assumais avec fierté le choix de cette vie monastique, et parce que je trouvais indigne leur façon d’abandonner le navire. Le soir où Paul sortit manger une glace avec Gil au lieu de continuer à travailler, pour la première fois depuis le début de notre longue association, l’idée que le partage des tâches n’était pas équitable m’effleura l’esprit.
    — Non, mais tu as perdu la tête ? m’écriai-je.
    La mienne tenait à peine sur mes épaules à force de se pencher sur les livres jusqu’au petit jour. L’escapade de Paul survenait au plus mauvais moment.
    — J’ai quoi ? demanda-t-il en se retournant avant de grimper dans son lit, persuadé d’avoir mal compris.
    — Tu y consacres combien de temps ?
    — Combien de… ?
    — Combien d’heures par jour àl’ Hypnerotomachia  ?
    — Je ne sais pas. Huit, peut-être.
    — Moi, cette semaine, j’y ai passé dix heures par jour. Et c’est toi qui as envie d’une glace !
    — Je suis parti dix minutes, Tom. Et j’ai bien avancé, ce soir. Où est le problème ?
    — Nous sommes en mars, Paul. Il nous reste plus qu’un mois.
    Il ne releva pas le « nous ».
    — J’obtiendrai un délai supplémentaire.
    — Tu devrais peut-être bosser davantage.
    Avant moi, personne n’avait jamais osé lui dire une chose pareille, ce qui déclencha sa colère.
    — Bosser

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