La reine de Saba
les
hommes rêveurs, comme s’ils entrevoyaient, dans ses paumes claires, des
promesses inaccessibles.
Les joues
de Kirisha rosirent.
— Je
remarque que tu es sans nouvelles du seigneur Yahyyr’an, fils de Yahyyr, ajouta
encore Makéda sur le même ton de taquinerie. Tes sœurs et tes cousines nous
oublient.
— J’ai
honte. Je ne devrais pas cacher ces messages à ton père.
— Il
ne veut plus rien savoir de Maryab. La politique et la guerre ne l’intéressent
plus. L’exercice de sa sagesse est voué au commerce.
— Mais
il voudrait certainement savoir qu’un seigneur de Maryab demande sa fille pour
épouse.
— Il
devrait apprendre dans l’instant qui suit que sa fille ne veut pas.
— Il
sait déjà que sa fille n’est qu’un caprice vivant.
— Il
y en a d’autres que Yahyyr’an. Et il est trop tôt pour penser aux époux.
Veux-tu faire de moi une femme ordinaire ?
Kirisha
s’abstint de répondre.
— Kirisha,
ne vois-tu pas qu’il ne s’agit que de politique ? insista Makéda. À
Maryab, Yahyyr’an est devenu, comme son père, un ennemi de Shobwa. C’est le
seul charme qu’il possède à mes yeux.
— Il
n’y a pas que lui que tu traites mal. Tan’Amar, tout immense et puissant qu’il
soit, plie devant toi comme un chaton. Il accepterait le pire, si tu le lui
demandais. Lui qui est comme le fils de ton père !
Cette
fois, Makéda hésita.
— Tan’Amar,
lui, je l’aime, admit-elle avec tendresse. Mais pas assez. Pas comme on doit
aimer. Pas comme une reine doit aimer…
Le rire de
Kirisha résonna dans la pièce.
— Je
le répète : vaniteuse que tu es ! Car tu sais comment doit aimer une
reine ?
— Bien
sûr. Pourquoi ne le saurais-je pas ?
Son ton
était sérieux et vibrant d’une proche colère.
— Il
n’y a pas à Axoum ni dans tout le royaume de mon père un seul homme assez
puissant et assez noble pour être digne de moi, déclara-t-elle.
Kirisha
cacha son amusement en redressant les coussins de la couche. Makéda lui saisit
le bras, l’obligeant à lui faire face dans le chiche halo de lumière.
— Dis
la vérité : ne le vois-tu pas ? Kirisha serra les lèvres sur un
soupir.
— Peut-être.
Mais sais-tu ce que cela signifie ? Que tu demeureras seule toute ta vie.
C’est cela que tu souhaites ?
— Je
serai comme toi : fidèle à l’amour qui me vient. S’il me vient.
Kirisha
cilla mais demeura silencieuse. Makéda leva la main et lui caressa tendrement
la joue, murmurant :
— Et
toi, tu ne regrettes rien ?
Les
paupières de Kirisha s’abaissèrent. Elle saisit la main de Makéda, la retourna
pour déposer un baiser dans sa paume.
— Je
sais que tu regardes mes rides et que tu commences à me trouver vieille. Quand
tu étais petite, tu disais : « Un jour, je serai belle comme
toi. » Moi, je te répondais : « Tu le seras plus encore. Belle
comme ta mère Bilqîs. Le temps est venu où chacun peut le constater. Pour ce
qui est de ton père, il ne m’a jamais donné l’occasion de regretter, et
aujourd’hui que viennent les rides, il m’apprend à les aimer comme je l’aime,
lui. »
Il y eut
un bruit brutal dans la pièce voisine. Un plateau renversé et quelques mots de
dispute entre les servantes. Makéda et Kirisha se turent, embarrassées par
l’émotion qui les liait.
Makéda
gonfla sa poitrine d’une respiration profonde, rangeant le taureau de bronze
dans la poche de sa ceinture.
— Ne
t’inquiète pas, fit-elle en relevant le visage. Je ne resterai pas toujours
dans des tuniques qui enlaidissent. Mais pour l’heure, je n’ai pas choisi si je
suis une femme d’amour ou une femme de guerre.
2
Axoum
De grandes
vasques de bitume avaient été allumées dans la salle d’apparat. Les flammes
crépitaient, jetant des ombres joueuses sur les murs. Il y avait bien assez de
lumière pour admirer les splendeurs que les serviteurs avaient tirées des
paniers et des coffres : des tigres ou des lions ailés avec des faces
grondantes, des faucons à corps d’homme ou de femme, des disques où
apparaissaient des visages humains, des vasques, des tapisseries, des vases de
roche translucide et même un lit à montants d’ébène torsadés de serpents d’or.
Car tout était d’or, d’onyx, de cornaline ou de sardoine.
Akébo et
Himyam contemplaient ces merveilles sans un mot. Impressionnés et pourtant
réticents. Himyam s’était incliné devant les portraits d’or, les scrutant
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