La reine de Saba
avec
attention. Il fut le premier à exprimer ce que tous deux ressentaient :
— Cette
splendeur est-elle faite pour honorer Akébo le Grand, roi de Saba, ou pour
rappeler que Pharaon sait transformer notre or en beauté car il est le plus
puissant de l’univers ?
La
moquerie de son ton disait la réponse qu’il apportait à sa propre question.
Myangabo eut un gloussement appréciateur qui fit trembler sa tunique.
Frère
d’Akébo, aîné de quelques années, Myangabo ne lui ressemblait aucunement. Sa
silhouette et son visage rond attiraient la sympathie plus que la crainte. Sa
chevelure drue, très frisée, était blanche comme neige, lui conférant un air de
paisible sagesse. Il n’avait plus beaucoup de dents, mais son sourire, au
contraire de celui d’Himyam, n’en devenait pas désagréable pour autant. Tout en
lui convainquait d’une douceur dont il savait, en homme rusé, se servir.
Il
détestait la guerre et excellait dans les ambassades. Mais ceux qui croyaient
que cette apparence aimable pouvait être de la faiblesse ou du manque de
courage se trompaient de beaucoup. Ils découvraient vite leur erreur à leurs
dépens.
En outre,
Myangabo n’avait qu’une fidélité. Il l’avait donnée depuis longtemps à son
frère bien-aimé, Akébo le Grand. Pour lui, il serait mort sur le pal sans
desserrer les dents. Il n’avait pas le goût d’emmener les hommes à la guerre.
Le sang des ennemis ne lui procurait aucune satisfaction. Néanmoins, sous sa
rondeur, le courage ne manquait pas.
D’un
signe, il ordonna aux serviteurs d’apporter un long rouleau de cuir. Il en tira
un tissage de papyrus qu’il fit dérouler. Les serviteurs durent le tenir à bout
de bras. On approcha des vasques de bitume pour mieux voir.
Deux
grands personnages de profil apparurent, peints en couleurs nettes et claires.
Un homme, torse nu, les hanches fines ceintes d’un pagne blanc souligné d’or.
Un casque en ogive qu’enlaçait un cobra, d’or lui aussi à l’exception de sa
gueule béante, couvrait son front. L’autre personnage était une femme. La
tunique laissait ses épaules nues. Elle couvrait ses jambes, mais sa poitrine,
ferme et dressée, se devinait sous la souplesse blanche du tissu. Une coiffure
haute et cylindrique lui agrandissait le visage. Ses traits étaient
simples : une bouche sensuelle, des yeux immenses.
Une femme
et un homme qui ne ressemblaient à aucun être humain de chair et de sang qu’on
eût pu rencontrer sur la terre de Saba. De beaux visages, quoique sans autre
expression qu’un grand vide.
Myangabo
guettait la réaction de son frère. Akébo eut un grognement peu admiratif. Il
recouvrit machinalement sa main amputée de sa main droite. Myangabo
annonça :
— Voici
Pharaon et son épouse. Ils tenaient beaucoup à ce que je t’apporte leur
présence en image. Ils aiment les images qui les reproduisent. Ils en ont
partout. Où que l’on aille dans leur palais, ils sont là, sur les murs ou dans
l’or des sculptures, dans la pierre des porches ou le bois des portes, et
jusque dans les piscines.
Myangabo
s’interrompit avec un sourire. Un sourire qui n’était ni moqueur ni joyeux,
mais dont il usait souvent pour laisser son interlocuteur songer à ce qui venait
d’être prononcé et peut-être y répondre. Akébo et Himyam demeurèrent cependant
silencieux, les yeux rivés sur le rouleau de papyrus. L’image de Pharaon et de
son épouse frémissait comme la surface d’un ruisseau car les serviteurs
peinaient à garder les bras levés. Les flammes des vasques de bitume
dégageaient une fumée de plus en plus noire et pestilentielle. Elle envahissait
le plafond de la salle que l’air pluvieux du dehors ne parvenait pas à aérer.
Myangabo
toucha le coude de son frère, l’attira vers la grande porte.
— Tu
te demandes si Pharaon et son épouse sont tels qu’on les voit sur cette image.
La vérité, mon frère, c’est que je ne connais pas leur apparence. On ne les
voit jamais que de loin, même nous qui sommes en ambassade. Ceux qui les approchent
sont une poignée. Et encore, cette poignée-là ne rencontre que des serviteurs
et des conseillers. Jamais un étranger. Pharaon ne nous parle que par la bouche
de commis qui se comportent comme des rois. Mais, loin de Thèbes, la rumeur
court que Pharaon a l’âge des rides, qu’il ne se déplace jamais sans de jeunes
garçons pour le soutenir.
Akébo eut
une moue de mépris.
— A
quoi cela lui sert-il
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