La reine de Saba
et à Tan’Amar.
Bien sûr,
le traître Shobwa et les mukaribs du Nord ne s’étaient pas aventurés à les
poursuivre. Alors, Makéda avait considéré cette lâcheté comme une humiliation
supplémentaire. Son père fuyait devant des faibles.
Ce n’est
que quand ils se furent embarqués sur une flottille de bateaux pansus comme des
bœufs, traversant la mer Pourpre, qu’elle s’était mise soudain à hurler :
— Je
reviendrai et je te tuerai !
Elle avait
levé la main, brandissant l’effigie de bronze du taureau qui n’avait pas quitté
sa paume depuis Maryab. Les côtes de Saba s’éloignaient, bleutées et
tremblantes comme si la mer allait les dissoudre dans le ciel.
— Je
te tuerai, Shobwa ! Je marcherai sur ton cadavre puant ! J’ouvrirai
les portes de bronze d’Haram Bilqîs. S’il le faut, c’est moi qui tuerai le
taureau !
La
violence de ses paroles résonna sur la mer. On l’entendit sur les pontons des
autres bateaux. Un long et grave silence pesa sur la nuque de tous, nobles,
gardes ou serviteurs. Akébo demeura droit, sans un cillement bien qu’il y eût
de l’insulte dans les mots de sa fille. Les lèvres d’Himyam avaient
tremblé : ces vœux de guerre dans la bouche d’une enfant effrayaient. Sauf
elle-même.
Ce
n’étaient pas de vaines paroles. Elles s’étaient incrustées dans l’esprit de
Makéda comme une pointe d’oponce sous la peau. Aujourd’hui encore, après dix
années écoulées, elle ne doutait pas de tenir sa promesse, même si elle
ignorait comment.
Elle baisa
tendrement la joue de Kirisha. Elle s’écarta et murmura encore :
— Non,
Kirisha, je n’oublie rien.
De la poche
dissimulée dans la large ceinture qui serrait sa tunique, elle tira le taureau
de bronze sauvé de la maquette du temple de Bilqîs.
— Il
ne me quitte pas. Il contient mes souvenirs et mes promesses.
Kirisha
secoua la tête, retenant un soupir.
— Oh,
je sais qu’il ne te quitte pas ! Crois-tu que je sois aveugle et je ne
m’en sois pas aperçue depuis longtemps ?
— Tu
fouilles les tuniques ?
— Pas
la peine. Mais moi je dis : C’est inutile. C’est mauvais, en vérité.
Est-ce à ça que doit penser une belle princesse de ton âge ?
— Kirisha,
je sais ce que tu vas me dire…
— Tant
pis, je le dis quand même. Il y a mille ou trois mille filles dans Axoum et dix
fois ce nombre dans le royaume de ton père. Tu les surpasses en beauté, comme
si Almaqah avait atteint la perfection en dessinant ton corps. Tu es la fille
d’Akébo le Grand… et regarde-toi : tu t’habilles comme une servante de
caravanier. Des tuniques de chanvre sans couleur et usées. Des cheveux qui ne
connaissent ni nattes ni peignes. Tu as seize ans, Makéda, l’âge où plus d’un
homme noble et puissant aimerait faire de toi une femme et une épouse…
— Le
fait est que certains y songent. Ici et ailleurs, n’est-ce pas ?
Le rire
dansant et ironique de Makéda rebondit sur les murs de la petite pièce. Rire
provocant de jeunesse et d’une beauté qu’elle savait déjà pleine et sûre. Sa
silhouette conservait encore la grâce hésitante de l’adolescence, mais ses
reins creusés sur une taille assez fine pour tenir entre des mains d’homme, ses
épaules, comme suspendues au-dessus d’une poitrine haute qui déjà tendait les
tuniques, possédaient cette élégance exubérante des femmes à l’aube de leur
pouvoir.
Sous des
paupières et des cils longuement arqués, qui s’ouvraient ainsi que des ailes,
le noir de ses yeux brillait d’un éclat aigu. La peau si fine de ses tempes et
de ses pommettes, l’arête nette du nez aux narines étroites, en portaient
l’écho adouci. Les boucles drues et serrées d’une chevelure qu’elle s’obstinait
à maintenir courte dessinaient un arc parfait au-dessus de son front et
laissaient voir ses oreilles menues, étrangement fragiles, aux lobes presque
transparents, piqués chacun d’une goutte d’or.
Makéda
savait déjà que nul ne pouvait se tenir longtemps face à elle sans être envoûté
par le dessin parfait de ses lèvres. Fermes, d’un rose de pétales encore
éclairci par le satin sombre des joues et du menton volontaire, elles pouvaient
être dures ou impérieuses aussi bien que d’une tendresse redoutable.
Un théâtre
d’émotions dont déjà elle jouait à merveille, le masquant et le dévoilant de
ses mains aux doigts si fins, si agiles dans leur danse qu’ils laissaient
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