La reine de Saba
approuva Himyam. La vanité d’être fort où tu ne
l’es pas ? Une vraie folie ! Si nos caravanes parviennent à Méroé,
les armées de Pharaon peuvent venir de Méroé jusqu’à nous.
— Et
ne pas commercer avec Pharaon, c’est commercer avec personne, ajouta Myangabo
d’un ton paisible. Sans doute y a-t-il des peuples gourmands au nord de la mer
Pourpre. Et tu as fait ériger les digues de Sabas pour charger nos bateaux et
leur offrir un havre après de longues routes. Mais ils ne sortent jamais du
port et ne naviguent jamais de crainte de se faire piller dès qu’ils prennent
le vent. Gomme tu le sais, pendant que tu construisais les maisons d’Axoum et
augmentais notre richesse grâce au commerce avec l’Egypte, les mukaribs de
Kamna et Kharibat en profitaient pour bâtir une flotte plus importante que la
nôtre et qui ne vit que de rapine.
C’était
rappeler avec douceur et affection une vérité cruelle. Il n’était que Myangabo
et Himyam à pouvoir le faire. Depuis dix ans, Akébo n’avait pas remis le pied
sur le sol de Saba. Le royaume était désormais coupé en deux par la mer
Pourpre. Shobwa le traître se pavanait dans Maryab, peut-être jusque dans le grand
temple de Bilqîs, jamais consacré à Almaqah. Il criait à qui voulait le croire
qu’il était l’autre roi de Saba !
En dix
ans, Akébo avait élevé Axoum au rang d’une ville royale et les hirondelles
pouvaient se poser sur des terrasses aussi hautes que leur vol. Il avait fait
construire des immensités de digues, irriguant les champs d’opulence. Il avait
fait creuser et étayer les mines d’or. Il avait transporté ici, dans ce pays de
jungle, de savane et de fauves, le savoir de Maryab. Il avait ouvert son commerce
à Pharaon, assurant la prospérité aux clans qui pliaient la nuque devant lui.
Dix
années ! Assez pour que l’âge irrigue ses veines en murmurant que la
sagesse était de vaincre sans faire couler le sang.
Mais aussi
dix longues années sans qu’il lave l’affront infligé à Maryab par Shobwa et les
mukaribs de Kamna et Kharibat.
Il saisit
un gobelet de corne remplie de bière pâle et le vida.
— Comment
devient-on le vassal de Pharaon ? demanda-t-il en s’essuyant la bouche de
sa main amputée.
— Oh !
c’est assez simple, s’exclama Myangabo qui guettait la question. Il suffit de
sacrifier à Râ, leur soleil tout-puissant, le dieu-père de Pharaon.
— Ah ?
Son père est le soleil ?
— C’est
ce qu’il s’imagine.
La
poitrine d’Akébo fut secouée d’un rire silencieux. Himyam et Myangabo
l’accompagnèrent bien volontiers dans cette moquerie.
— Le
peuple de Saba sait que son dieu est Almaqah, déclara-t-il. Et que je ne suis
ni fils ni frère, ni rien du tout dans la descendance de Râ.
— Sacrifier
à Râ ne fâchera pas Almaqah, grommela Himyam. Il sait à qui appartiennent notre
cœur et notre confiance. Et le peuple veut seulement que tu sois fort.
— Il
faudra un temple où sacrifier ? demanda encore Akébo, qui connaissait déjà
la réponse.
Myangabo
approuva. Himyam leva son bâton et déclara :
— Tu
peux faire plus qu’un temple. Akébo le dévisagea durement.
— Fais
de ta fille Makéda la prêtresse de Râ. Le jour où tu la conduiras dans le
temple, tu annonceras qu’elle sera reine de Saba auprès de toi.
Myangabo
surveillait l’expression de son frère. Il fut tout de même surpris. Akébo se
dressa avec un grognement de fauve. Il empoigna les deux uniques doigts de sa
main gauche avec la droite comme s’il emprisonnait un animal sauvage. Il se
retourna et fit face aux serviteurs en ordonnant qu’on lui apporte le pot de
nuit. D’un pas qui fit trembler le sol, il alla uriner dans l’obscurité de la
terrasse.
Le silence
retomba sur Himyam et Myangabo. Ils ne devaient plus ouvrir les lèvres et se
contentaient d’écouter les jappements des hyènes sous les murs du palais.
Cela dura.
Akébo apparut devant eux tel un fantôme sortant du néant.
— Makéda
sera reine de Saba. Je l’ai toujours voulu. Mais j’ai promis de la faire reine
dans le temple de Bilqîs, et je n’ai pas tenu ma promesse. Il n’est pas un jour
sans que son regard ne me le rappelle. Et tu souhaites que je la fasse reine
alors qu’elle sacrifiera à Râ ? Jamais elle ne le voudra.
— La
colère de Makéda s’éteindra avec le temps, comme la vieillesse t’éteindra
toi-même, répliqua Himyam sans contourner la vérité.
— Pour
ma
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