La reine de Saba
raison, Himyam,
une reine pourrait être plus sage qu’un roi.
Himyam
roula ses lèvres. Sans une réplique, il fit glisser son bâton sur ses cuisses.
— Kirisha
n’est pas la seule à m’informer, reprit Makéda, le menton relevé. Le vieux
seigneur Yahyyr est mort durant l’hiver. Qu’Almaqah le prenne près de lui.
C’était un homme juste et bon. Aujourd’hui, son fils est assis à sa place au
conseil de Maryab. Yahyyr’an est son nom. Son souhait le plus cher est de
m’épouser. Peut-être parce que je lui plais, mais plus sûrement pour devenir le
descendant d’Akébo le Grand. Il pourrait mener la guerre contre Shobwa en
promettant que Saba retrouvera sous son nom sa grandeur, de l’Orient à
l’Occident.
Cette
fois, pas plus Himyam que Myangabo ne retinrent un glapissement effaré.
— Il
a osé ?
— Osé
quoi ? Se dresser contre les mukaribs du Nord ?
— Te
demander pour épouse !
— Pourquoi
non ? Ne suis-je pas en âge de choisir un homme pour ma couche ?
— Makéda !
C’est à ton père de le décider, geignit Myangabo. Ce… Yahyyr’an n’a pas même
demandé à Akébo le droit…
— Mon
oncle ! Faut-il te rappeler ta jeunesse ? Un homme qui n’est pas sot
veut savoir s’il encourt l’affront d’un refus avant de plier la nuque devant un
père.
— Qu’as-tu
répondu ? demanda Himyam. Makéda rit. Un rire haut et léger, scintillant
de moquerie.
— J’ai
fait savoir au seigneur Yahyyr’an que je considérerai sa proposition le jour où
il m’ouvrira les portes de bronze d’Haram Bilqîs, le temple de ma mère. Et que
peut-être je lui accorderai son bonheur s’il y tuait un taureau, comme Akébo le
Grand l’aurait fait dans son jeune âge.
— Ah !
— Aussi
pourrai-je vous répondre comme je lui ai répondu. Jamais je n’oublierai que la
moitié du royaume de Saba reste hors des mains de mon père. Vous devriez y
songer, vous aussi, qui êtes savants dans les choses du commerce. Maryab est
plus riche en myrrhe et en encens que nous ne le sommes ici. Cette hyène de
Shobwa s’engraisse en nous narguant. Saba est tranché en deux. La mer Pourpre
est une lame qui sépare des amants dans leur couche d’amour !
La
violence des mots et les images lancées par Makéda laissèrent Myangabo et
Himyam sans voix. Makéda ne fit rien pour alléger leur embarras. Le silence
était assez lourd pour qu’on puisse entendre le bourdonnement des mouches et
des abeilles attirées par les gâteaux.
— Tu
refuses ? demanda enfin Himyam.
— Non.
Je serai prêtresse de Râ.
Makéda lui
sourit comme si toute sa colère n’avait été qu’un jeu.
— Cela
m’amuse. Je vais pouvoir inventer de nouveaux chants. Tu les porteras à
Pharaon, mon oncle. Il sera content de toi autant que de notre or !
— Oh !
s’écria Myangabo en sursautant. Oh, j’allais oublier !
Il claqua
vivement des mains. En courant on apporta une légère caisse de cèdre rouge. On
en tira une tunique éblouissante. De la poitrine aux épaules se déployaient des
lamelles d’or semblables aux plumes d’un ibis. L’échancrure du cou était une
torsade d’or qui se nouait entre les seins, où elle retenait un disque d’or
plus large qu’une main. Le reste était d’un tissage de lin et de laine si
délicat que l’on en devinait à peine le fil.
La vue de
cette tunique sidéra un instant Himyam et Makéda, tout autant que les
servantes. Myangabo applaudit, son gros ventre frémissant de contentement.
— C’est
ainsi que se vêtent les prêtresses de Râ à Thèbes. Elles sont bien peu à avoir
le droit de l’arborer. Une poignée à peine, pour ce qu’on m’a affirmé, et
seulement des filles de la famille de Pharaon. C’est un grand prêtre d’Hamon-Râ
qui me l’a remise pour toi. Et attention, tu es la seule à pouvoir la porter.
Sinon, ce sera ma perte…
Il riait.
Quoiqu’il eût mis du drame dans sa voix, on voyait qu’il ne croyait pas un mot
de cette menace. Makéda s’inclina pour lui caresser la joue.
— Et
peut-être as-tu songé, mon oncle, que la vue de cette tunique d’or convaincrait
ta nièce de faire offrande à Râ pour le seul plaisir de se glisser
dedans ?
Myangabo
gloussa, buvant un grand gobelet d’infusion pour ne pas avoir à répondre.
— Est-ce
à dire que tu veux seulement être prêtresse de Râ ? interrogea Himyam avec
impatience.
Makéda le
considéra, sérieuse.
— Je
serai reine aux côtés de mon
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