La reine de Saba
vieillesse, je le sais. Pour la colère de ma fille, tu t’avances beaucoup.
— J’ai
apporté une tunique de prêtresse achetée à Thèbes, dit doucement Myangabo. Très
belle, toute de fil d’or et d’argent, comme en rêvent les jeunes filles.
— Tu
ne connais plus ta nièce, ricana Akébo. On ne l’achète pas avec une tunique
d’Egypte.
— Mais
elle sait qu’elle doit être reine et te soutenir, objecta Himyam. Fille de Râ,
fille d’Akébo et de Bilqîs, fidèle d’Almaqah, elle saura s’y retrouver. Elle
est assez savante avec les mots pour ça.
Akébo eut
encore un ricanement et secoua la tête. Himyam ne céda pas.
— Il
est temps, mon roi. L’occasion est bonne.
— J’aurais
honte de lui faire cette proposition, Himyam. Et elle aurait honte de
m’entendre.
— Alors
c’est moi qui la lui ferai.
— Et
moi je lui offrirai la tunique, s’amusa Myangabo en saisissant un gâteau de
miel. Ta fille est unique, mais elle est aussi pareille à toutes les femmes.
3
Axoum
Ils la
trouvèrent dans le jardin d’épices, peu après la prière du matin. Le soleil
était encore gros à l’horizon. Le ciel ne gardait plus trace de la pluie de la
veille mais les herbes étincelaient de gouttelettes.
Des
servantes sarclaient la terre rouge entre les plantes, profitant que la pluie
l’eût ameublie. Dans les arbustes qui cernaient le jardin, les oiseaux menaient
un vacarme qui paraissait enchanter Makéda. Elle accueillit les deux hommes
avec un sourire qui devint vite moqueur.
— Mon
oncle Myangabo et le sage de mon père ! Si tôt dans le jardin des herbes ?
Venez-vous prendre part aux travaux des femmes ?
Myangabo
s’amusa de la pique, lui baisa les mains avec affection. Il tira de sous sa
tunique un court cylindre de bambou aux extrémités closes par des capuchons de
cuir.
— Je
voulais te donner ce présent de mes mains, ma nièce. Il vient de Thèbes.
Elle
ouvrit l’un des capuchons. Deux stylets de roseau et un rouleau de papyrus à
écrire glissèrent du cylindre. Makéda poussa un cri de ravissement. Le ruban de
papyrus se déroula. Il était si long qu’elle dut brandir les bras pour qu’il ne
touche pas le sol.
— Oh,
mon oncle, c’est une merveille ! Rien ne pouvait me faire plus de plaisir.
Myangabo
était rouge d’émotion.
— On
m’a dit, avant mon départ, que tu apprenais à écrire selon la mode de
Maryab !
— On
t’a raconté des bêtises. Il y a des années que je sais écrire !
La
moquerie était tendre. Elle serra Myangabo contre sa poitrine et l’embrassa
sans retenue. Himyam détourna les yeux. Une grimace tira ses lèvres en ce qui
était peut-être un sourire.
— Quel
bonheur tu me fais ! Personne ici ne parvient à me fabriquer ce tissu de
papyrus et j’ai tant de chansons à y écrire !
Tout
autour les femmes s’étaient arrêtées de travailler et regardaient Makéda rouler
son précieux bien et refermer le cylindre. Elle le glissa dans sa ceinture,
encore souriante, puis ses sourcils se froncèrent. L’ironie revint dans son
regard.
— Des
perroquets du Nil, et ceci, reprit Makéda en se tournant vers Myangabo, tu me
gâtes beaucoup, mon oncle. Mais si vous êtes là tous les deux, je suppose que
ces cadeaux vont de pair avec quelques paroles moins agréables que vous avez à
me dire.
Elle
considéra Himyam.
— À
moins, sage de mon père, que tu ne sois venu également avec un cadeau pour
moi ?
Himyam
grogna en refermant la bouche, la mine aussitôt sévère. Myangabo gloussa. Il
fut sur le point de lancer une plaisanterie, mais Himyam déclara :
— Il
s’agit d’une chose sérieuse, fille de mon roi, si tu veux bien nous écouter.
Makéda
connaissait trop bien les manières d’Himyam pour s’offusquer de sa sécheresse
de ton. La moquerie ne quitta ni ses yeux ni ses lèvres.
— Venez
dans la cour des femmes. Votre grand âge effacera l’offense. Vos os y
trouveront des coussins. Et aussi des gâteaux au lait d’ânesse encore chauds
pour toi, mon oncle.
Elle les
écouta sans les interrompre ni rien laisser paraître. Quand ils se turent, elle
détourna la tête, demeura silencieuse.
Pendant
qu’Himyam parlait, plusieurs fois la main de Myangabo s’était tendue vers les
gâteaux. Les servantes remplissaient son gobelet d’infusion de benjoin et de
menthe dès qu’il le vidait. En attendant la réponse de Makéda, il s’obligea à
rester aussi immobile qu’Himyam, dont seuls
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