La reine de Saba
père. À une condition.
La grimace
d’Himyam s’étira.
— Une
fille qui pose des conditions pour obéir à son père !
— Le
sage ne s’engage sur les chemins qu’avec un chameau à la bosse dure. C’est
toi-même qui me l’as appris.
— Dis…
— Depuis
plusieurs saisons, mon père supporte que des mukaribs de Maryab et Shobwa
viennent en secret sacrifier des offrandes au serpent Arwé.
— Comment
tu…
— Comment
je le sais ? Comme tu le sais toi-même : Tan’Amar a sur ton ordre
placé des espions le long de la mer Pourpre.
— Ah,
je comprends !
— Ne
lui en veux pas, Himyam. Nul n’est plus fidèle à Akébo le Grand et à toi-même
que Tan’Amar. Mais lui aussi voudrait devenir mon époux.
Makéda
offrit aux deux hommes son sourire le plus enjôleur. Séduit sans résistance,
Myangabo approuva du front et d’un soupir. Bien sûr, quel homme jeune et
vigoureux ne désirerait pas être l’époux de Makéda, fille d’Akébo ?
— Alors ?
grommela Himyam.
— Alors
il faudra peu de temps avant que ces traîtres n’élèvent partout des temples, ne
détournent le peuple d’Almaqah et ne réitèrent ici leurs forfaits de Maryab.
N’avez-vous plus de mémoire, mon père et toi ? Etes-vous aveugles, pour ne
rien faire ?
Le sourire
séduisant avait disparu. À nouveau Makéda était toute colère et violence.
— Nous
les surveillons, assura calmement Himyam. Nous savons ce qu’ils font. Le mal
est léger, pour l’heure. Le peuple n’a pas à se plaindre et ne va pas chercher
refuge auprès d’Arwé.
— C’est
toi qui dis cela ? Toi qui as toujours professé que le peuple avait sans
cesse des raisons de se plaindre et qu’il n’aimait que celui qui montrait sa
force ?
— Ton
père l’a montrée plus qu’aucun autre.
— Autrefois,
Himyam. Aujourd’hui, vous craignez de combattre. Moi, je vous le dis :
vous êtes en train de répéter l’erreur commise à Maryab.
Makéda se
dressa d’un mouvement.
— Si
mon père me veut à côté de lui, il doit couper la tête de ces serpents.
Avant
qu’ils puissent réagir, elle s’écarta des coussins pour saisir la tunique de
prêtresse de Râ. Elle la plaqua contre son corps.
— Tu
as raison, mon oncle. C’est la plus belle tunique que l’on puisse voir. Je
serai très impressionnante dans le temple. Pas de doute que l’on me prendra
pour la fille de Râ plutôt que de mon père.
Qui
est-elle qui avance comme l’aurore, brillante comme le soleil, belle comme la
lune, unique pour sa mère ? Resplendissante pour celle qui l’a faite,
Terrible, comme les fanions en bataille !
Elle
s’éloigna vivement, le rire résonnant derrière elle. Étourdi autant que
subjugué, Myangabo murmura :
— Mon
frère a raison. Sa fille n’a rien des autres femmes, si ce n’est l’apparence.
4
Axoum
Akébo
saisit le gant que Tan’Amar lui tendait. Un gant étrange. Il recouvrait sa main
amputée, libérant l’index et le pouce mais renforçant la paume d’un coussinet
de cuir dur et incurvé en forme de croissant de lune.
Tan’Amar
tendit l’arc à son roi. Un arc fait de deux cornes de gazelle sculptées réunies
par des bagues de bronze serties dans une poignée d’ébène. Il était si grand
qu’une fois levé à bout de bras son extrémité basse atteignait le genou du
tireur.
Akébo
ancra la poignée dans sa main gantée, referma ses deux doigts sur le tressage
du bronze. De la main droite, il retira une flèche à double empenne du carquois
suspendu à un chevalet. Longue de presque deux coudées, sa pointe était plus
fine qu’un doigt de nourrisson mais large d’une paume, ses arêtes crénelées en
dents de scie.
Akébo
glissa le talon fendu dans le boyau de buffle. Sans que son souffle change, les
muscles de ses bras se gonflèrent quand il banda l’arc. L’ivoire des cornes
s’incurva, gémit sous la tension du boyau.
Les yeux
d’Akébo fixèrent la cible : un mannequin de lin à forme d’homme, empli de
coton, casqué et cuirassé jusqu’aux hanches. Disposé si loin qu’on ne pouvait
distinguer la bouche et les yeux qui avaient été peints sur la forme du visage.
L’air
emplit la poitrine d’Akébo. Il ferma les paupières. Le poignet immobile, bronze
dans le bronze, malgré la tension qui ployait l’arc.
Tout
autour, les guerriers de Tan’Amar guettaient le grondement du boyau. Il leur
parut qu’Akébo attendait trop. On prétendait qu’il savait
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