La reine de Saba
faire venir la cible
en son cœur. S’y refusait-elle ?
Non. Ses
lèvres s’ouvrirent en frémissant ainsi que pour un baiser. Le boyau jeta un cri
rauque, les cornes des gazelles se détendirent dans un gémissement.
La flèche
fut si vite en l’air qu’ils durent chercher son empenne dans le ciel. Elle
monta et flotta avant de basculer. Ceux qui avaient les yeux les plus vifs la
virent faseyer étrangement. Comme si elle hésitait. Ou qu’une main invisible la
saisissait. Avant de s’abattre sur la cible avec la précision d’un faucon.
Le bronze
déchira l’épaisse toile de lin. Tchak ! Un crissement que tous
entendirent.
Juste
au-dessus de la cuirasse, la hampe de buis traversait la gorge du mannequin de
part en part.
— Yyy’aah ! Gloire à notre roi, Akébo le
Grand ! Le hurlement des guerriers monta dans le ciel sans nuage comme y
était montée la flèche. Il retentit dans le vacarme des rires de joie et des
épées frappées contre les boucliers de bois.
En
réponse, Akébo dressa sa main gantée, ses deux doigts de guerrier pointant le
ciel d’Almaqah. Un sourire aux lèvres, il se tourna vers Tan’Amar, qui inclina
la nuque avec respect.
— Treize
toises ! jeta Akébo en embrassant la corne de son arc. Autant que la
flèche de l’enceinte du temple de Bilqîs. Et avec plus de précision !
— Nul
ne doutait que tu puisses le faire, mon roi. Ton bras est toujours le plus
puissant.
— Si,
moi je doutais. Et tu te trompes. Mon bras n’est plus si puissant. Mais je sais
mieux penser à la cible.
Le bonheur
se lisait sur le visage d’Akébo et le soulagement s’entendait dans sa voix.
Il tendit
son arc à Tan’Amar et lança des ordres. Un instant plus tard le vaste champ à
deux lieues du palais d’Axoum, qui servait de camp d’entraînement pour les
guerriers de la garde royale, ressemblait à un véritable terrain de bataille.
Les chevaux y galopaient, emportant des cavaliers brandissant les piques. Au
sol, les combats opposaient des hommes en groupes de six, placés en losanges et
qui couraient au choc, boucliers et épées levés, tenant leurs positions sous
les coups. D’autres abattaient des masses en ahanant. Il y eut une charge
d’archers montés sur des chameaux noirs aussi rapides que de bons chevaux.
Mais à la
différence d’une vraie bataille, les lances et les javelots s’enfonçaient dans
des mannequins, les épées étaient de bois dur, contondant, mais non tranchant.
Les masses ne fracassaient que de vieilles cuirasses vides et les flèches
lâchées pendant la galopade n’atteignaient que des planches peintes en rouge
que des serviteurs, entre les charges, déplaçaient avec précaution avant de se
remettre à l’abri.
Les
officiers donnaient des ordres, blâmaient et encourageaient. Akébo et Tan’Amar
observaient et, à leur tour, adressaient quelques ordres. Deux ou trois fois,
Tan’Amar sauta sur un cheval, conduisit les charges et contraignit les
guerriers à plus d’ordre et de précision. Chacun put constater l’attention et
le respect qu’on lui portait sur le champ d’entraînement.
Lorsque le
soleil approcha le zénith, les trompes sonnèrent le repos. Akébo considéra
Tan’Amar.
Celui
qu’il avait sauvé de la mort enfant avait peu changé au cours des dix dernières
années, sinon qu’il était dans la force de l’âge. Son corps avait pris une
élégance de fauve et son esprit de l’assurance. Sa fougue était intacte, sa
ruse plus redoutable. Une barbe drue couvrait maintenant ses joues d’un noir de
nuit. L’expression de sa bouche était dissimulée, son regard en paraissait plus
net et plus vif. Auprès de lui, Akébo éprouvait une confiance et un plaisir qui
se renouvelaient de jour en jour. Néanmoins, c’est d’une voix où perçait la
tristesse qu’il déclara soudainement :
— Plus
les ans passent dans mon corps, plus je te considère comme mon fils.
Tan’Amar
fut si surpris par ces mots et par le ton de son maître qu’il ne trouva rien à
répondre. L’émotion lui fit battre les paupières. Le blanc de ses yeux était
plein d’interrogation.
Akébo
retira le gant qui couvrait toujours sa main amputée. Il désigna d’un coup
d’œil les hommes qui les entouraient.
— Viens
sous la tente. J’ai à te parler.
C’était
une simple tente de guerre, à trois pans de gros drap de lin. S’y trouvaient
une table pliante en roseau, des tabourets à montants croisés et un lit
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