La reine de Saba
devaient aussi alimenter
les vasques de sacrifice, Makéda répondit que c’était inutile.
— Seulement
les feux. Je veux qu’on les voie la nuit. Je veux aussi que nul ne monte les
marches du temple à part vous.
Elle fit
ranger dans un coffre sa tenue de grande prêtresse de Râ. De ce jour, elle
apparut au peuple d’Axoum dans une robe nouvelle : une tunique où les fils
d’or alternaient avec des fils d’un bleu indigo et de pourpre. Brodés sur la
poitrine, de longs entrelacs soulignaient la fermeté opulente des seins avant
d’enlacer la taille comme une ceinture. Cousue près du corps, cette tunique
révélait combien en quelques mois Makéda avait atteint la grâce accomplie des
femmes faites. Mais seules les servantes qui l’habillaient au matin avaient
accès à cette splendeur. Les regards des hommes devaient la deviner au travers
des capes légères et simples qui la voilaient et la protégeaient de leur
curiosité.
Un lourd
anneau d’or posé sur son front retenait l’abondance de sa chevelure. Il
brillait du même éclat intense que son regard. Sa bouche s’était durcie dans le
deuil et en conservait la marque, accordant à la beauté de son visage une
puissance qui n’était plus seulement celle de la séduction.
Deux soirs
encore, les cours du palais demeurèrent silencieuses. On eût dit que l’absence
d’Akébo écrasait tous les bruits, jusqu’aux caquètements et aux trilles des
oiseaux.
Au cœur de
la troisième nuit, retentit soudain un grand vacarme d’appels et de trompes.
Makéda se réveilla en sursaut, l’oreille aux aguets. Elle reconnut le grincement
de la grande porte puis la voix puissante de Tan’Amar lançant des ordres dans
la cour des hommes.
Elle
quitta aussitôt sa couche pour envoyer des servantes aux nouvelles. Revêtue
d’un manteau léger sur sa tunique de nuit, elle monta sur la terrasse royale où
elle fit allumer des torches. Elle s’assit dans le grand siège d’ébène où son
père avait coutume de prendre place. Elle était à peu près certaine de ce
qu’elle allait entendre.
Après un
court instant, Tan’Amar surgit sur la terrasse. Himyam, le bâton haut levé,
arriva à sa suite.
— Un
messager de Saba ! annonça Tan’Amar. Il y a trois jours, les espions que
nous avons placés en mer ont rencontré des pêcheurs venus de Makka’h, sur la
rive de Maryab. Selon eux, une grosse flotte de birèmes de guerre fermait le
port, prête à tendre les voiles. Nos hommes sont revenus le plus vite possible
et un messager a épuisé trois chameaux pour nous prévenir.
— Combien
de bateaux ?
— Les
pêcheurs n’ont pu dire un nombre précis. Plus de dix sans doute. Et un très
grand nombre de guerriers. La rumeur dans les villes de l’autre rive veut que
les seigneurs de Kamna et Kharibat aient convaincu une nouvelle fois les
mukaribs des autres cités du Nord à faire alliance avec eux. Le nom de Shobwa
court sur toutes les lèvres pour dire qu’il mènera le combat contre nous.
Makéda
esquissa un sourire.
— Depuis
toujours, ces mukaribs sont des lâches. Ils ne livrent combat que lorsque leur
victoire est certaine. Shobwa et les seigneurs de Kamna et Kharibat les ont
assurés qu’il serait aisé et sans danger de combattre la fille d’Akébo. Ils
savent depuis des jours qu’une mort certaine avançait dans le corps de mon
père. Pour une fois, ils se montrent plus malins qu’à l’ordinaire. En tuant
Akébo le Grand, ils nous attirent ici quand nous devrions être à Sabas pour les
recevoir.
— Nous
ne sommes pas aussi démunis qu’ils le souhaiteraient ! protesta Tan’Amar.
Chacun est déjà sur le pied de guerre à Sabas. Les équipages des bateaux
capables de naviguer sont prêts à manœuvrer.
Makéda ne
voulut pas contredire la confiance de Tan’Amar. Il n’y avait à Sabas que trois
navires en état de combattre. Les forces étaient bien trop inégales pour
affronter Shobwa dans un combat de mer en face à face. Sans compter un nombre
bien faible de guerriers.
Himyam ne la
quittait pas des yeux. Peut-être devina-t-il les pensées de Makéda. Il rétorqua
avec calme :
— Les
bateaux des mukaribs de Kamna et Kharibat sont nombreux, mais ils n’auront plus
l’avantage de la surprise. Comme à son habitude, Shobwa se montre timoré. Ses
navires ne devraient pas attendre de l’autre côté de la mer. Ils devraient déjà
être devant nos côtes.
— Ils
ont voulu avoir la certitude qu’Akébo ne
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