La reine de Saba
toute la maisonnée des serviteurs et servantes du palais.
La voix
d’Akébo jaillit comme un cri et les fit tous trembler :
— Makéda !
— Mon
père…
— Reine
de Saba !
— Roi
mon père, je suis là. Je t’entends.
— Ne
te soucie pas que de vengeance et de guerre… Trouve le roi de sagesse !
La
mâchoire d’Akébo se tendit si violemment que les muscles saillirent de ses
joues. Les mots ne purent passer ses lèvres. Ses deux doigts de guerre se
crispèrent sur les doigts de Makéda comme pour les briser.
Kirisha ne
retenait plus ses larmes. Dans sa poitrine roulait un gémissement dont elle
n’avait pas conscience.
Enfin le
spasme cessa, les muscles d’Akébo s’amollirent. Un long feulement de noyé passa
sa gorge.
Le silence
fut soudain et immense.
Avec un
calme et une douceur qui interdirent aux autres le moindre mouvement, Kirisha
s’allongea sur la couche au côté d’Akébo. Elle baisa longtemps sa bouche qui
refroidissait.
5
Axoum
Deux jours
durant, le peuple d’Axoum pleura son roi et chanta ses louanges.
Au
troisième jour, le corps d’Akébo, parfumé d’encens, oint de myrrhe et vêtu de
sa cuirasse de guerre, apparut sur le pelage noir de trois chameaux de combat.
Tan’Amar et ses gardes le transportèrent jusqu’au grand sanctuaire d’Almaqah.
Ils déposèrent leur fardeau dans la vasque des crémations, disposèrent autour
de lui son glaive de bronze, son arc et les flèches qui, plus d’une fois,
avaient atteint leurs cibles à treize toises.
Himyam
prit une torche des mains d’un prêtre et alluma le brasier. Sous l’effet d’un
tremblement involontaire, son bâton frappait le sol à petits coups ainsi qu’une
masse sur la peau d’un tambour. Les contractions qui déformaient son visage révélaient
si crûment sa tristesse que les yeux se détournaient. À son côté, Myangabo,
chancelant, tendait ses mains dodues devant lui, les paumes offertes au ciel et
au regard des dieux.
Makéda
demeura sur les marches du sanctuaire, à la place que seule pouvait occuper la
reine de Saba. Ses traits ne bougeaient pas. Les larmes gonflaient ses
paupières.
Le corps
brûla jusqu’au cœur de la nuit. Le brasier fut vite intense. Les flammes
gesticulèrent à plusieurs hauteurs d’homme.
La foule
d’Axoum demeura autour du temple, criant et pleurant jusqu’à ce que les
trompes, sculptées dans des cornes de bélier, sonnent sept et sept fois,
annonçant que le corps du roi de Saba n’était plus que cendres. Tous avaient pu
sentir les parfums de Saba dans les fumées de la crémation, ainsi qu’il arrive
pour ceux qu’Almaqah accueille à son côté.
Couverte
de voiles de lin blanc qui ne laissaient deviner d’elle qu’une silhouette
raide, les épaules voûtées, Kirisha se refusa à quitter l’enceinte du temple et
la vue des braises qui emportait Akébo dans l’énigme de l’autre monde.
Elle s’y
trouvait encore quand l’aube sans rosée dessina son ombre sur les marches du
sanctuaire.
Les
prêtres apportèrent le bouclier en cuir de buffle bardé d’or du roi de Saba et
y déposèrent les cendres d’Akébo. Tan’Amar et Makéda le saisirent. Ils le
transportèrent jusqu’au cœur du sanctuaire, une vasque de bronze entre sept
piliers de cèdre peints aux couleurs vives de l’arc-en-ciel.
Tandis que
les cendres d’Akébo s’y écoulaient en diffusant une poussière pâle, Tan’Amar
fut le seul à entendre les paroles que fredonnait Makéda :
Ô mon
roi, mon père, père de mes joies, roi de mes
années, très bon et très sage, visage de joie, paroles d’amour, ta fille est sculptée par ta mémoire noire et magnifique.
Joie pour
nous joie pour toi, l’amour est fort comme la mort.
Allez,
disparais, deviens un fauve bondissant au-dessus des montagnes parfumées.
Au
crépuscule, Makéda monta jusqu’au temple de Râ avant que le soleil
s’engloutisse dans l’horizon déchiqueté des montagnes. Mais quand le disque
rouge et énorme se posa entre les pics et les vallées ruisselant de pourpre et
qu’elle voulut inventer un chant pour confier l’âme de son père au dieu de
Pharaon, pas un mot ne trouva le chemin de son cœur et de ses lèvres.
Elle sut
qu’Akébo avant de mourir avait dit la vérité. La paume de Râ ne s’étendait que
sur Pharaon.
De retour
au palais, elle désigna cinq jeunes filles pour aller entretenir les feux du
temple à sa place. Lorsqu’elles lui demandèrent si elles
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