La reine de Saba
temple : sept fois la
hauteur d’un guerrier. Infranchissable !
Makéda fit
basculer le minuscule vantail de bronze à l’échelle de la maquette qui ouvrait
l’enceinte. Elle fit glisser à l’intérieur un taureau de bronze à peine gros
comme son doigt.
— Les
prêtres iront devant avec les souffleurs de corne, expliqua-t-elle, comme si
son père ne savait encore rien de la cérémonie à venir et qu’elle-même ne
l’avait pas déjà racontée quelques dizaines de fois. Mais nous serons juste
derrière le taureau.
Elle
poussa l’animal de bronze sur le sable répandu dans l’espace de la cour.
— Derrière
nous, il y aura les gens du palais, les prêtresses et les porteurs des statues
pour le sanctuaire. Et encore derrière, marcheront les femmes avec les fleurs,
la myrrhe et les encens. Et quand nous serons tous à l’intérieur, il faudra
donner l’ordre de refermer les portes.
Ce qu’elle
fit aussitôt sur la maquette.
— Les
autres resteront dehors, et voilà !
Son doigt
désigna le sanctuaire d’Almaqah élevé sur la partie incurvée de l’enceinte.
— Il
n’y a que nous qui pourrons nous approcher… Un péristyle riche de trente-deux
colonnes de granit alignées par rang de huit. Chacune serait alors flanquée
d’une statue de bronze à l’image des puissants de Saba.
— Les
porteurs des statues iront se mettre en rangs devant les vasques d’offrandes.
Himyam fera signe aux prêtresses et elles allumeront les feux de parfums…
Elle posa
son doigt à l’ouest du sanctuaire.
— Moi,
je me mettrai là, à la place de l’étoile jeune, et toi – elle posa un doigt à
l’angle opposé du sanctuaire –, toi, tu conduiras le taureau à la place de la
vieille étoile.
Sans
quitter sa fille du regard, Akébo devina que les serviteurs se pressaient
maintenant sur la terrasse. Ils n’osaient approcher sans son ordre. Il ne leur
accorda aucune attention, poursuivit le jeu avec Makéda.
— Te
souviens-tu des paroles que tu devras prononcer aussitôt que les fumées
s’élèveront ?
Makéda
réprima un haussement d’épaules. Son ton vibra d’ironie. Cette question était
une insulte à son savoir.
— Moi,
Makéda, fille de Bilqîs, fille d’Akébo le Grand, fils de Myangabo, moi, Makéda,
princesse de Saba, je suis devant ton sanctuaire, ô Almaqah, Tout-Puissant de
la vie, Tout-Puissant de la colère du ciel. Mon père est ton sang sur terre. Il
te fait l’offrande de ma naissance comme il te fait l’offrande de ce temple pour
que ma mère Bilqîs, ta bien-aimée servante, demeure assise à la droite de ton
trône. Pour toujours et toujours…
Makéda
avait lancé ses derniers mots en cherchant le regard d’Akébo. Ses yeux
brillaient d’une émotion qu’elle s’empressa de vaincre. Elle retira le taureau
de bronze de la maquette et le brandit vers le visage de son père.
— Moi,
je sais très bien ce que j’ai à dire, mais toi, tu devras tuer le taureau d’un
seul coup de hache !
— Et
toi, jeune fille, tu devrais savoir qu’une princesse de Saba ne se promène pas
en robe de nuit dans le jour ! Qui plus est sans coiffure, les cheveux en
bataille comme une paysanne au retour des champs !
D’un même
élan, Akébo et Makéda se retournèrent vers la voix qui brisait leur jeu. Avant
même de découvrir son long visage sombre éclairé par la broussaille neigeuse
des sourcils et de sa barbiche, ils avaient reconnu Himyam. Prêtre d’Almaqah,
fidèle conseiller d’Akébo, il était aussi immense que maigre. Sa peau était
d’un noir absolu, tout comme son regard. Ses dents, jaunies, gâtaient son
sourire et lui donnaient toujours une expression inquiétante.
Nul ne
savait son âge, mais sa vigueur paraissait être éternelle. Akébo le soupçonnait
d’être beaucoup plus jeune qu’il n’en avait l’air, peut-être à peine plus âgé
que lui-même. Himyam soignait son apparence de sage pour impressionner son
monde. Ce qui leur convenait à tous les deux. Mais, surtout, au fil des années,
Akébo avait pu s’assurer qu’Himyam possédait les trois qualités qui rendent un
homme indispensable : il était fidèle, supérieurement intelligent et
intransigeant.
De son
bâton d’ébène torsadé dont il ne se séparait jamais, Himyam invita une belle
jeune femme respectueusement en retrait de l’alcôve à s’approcher.
— Il
est temps que Kirisha prenne soin de ta fille, seigneur, dit-il avec un regard
entendu vers
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