La reine de Saba
à rompre.
C’est
cependant à son côté, et souriante, que Makéda franchit la porte de la ville en
liesse. Comme à Ibn, Zaffa ou Hinûaz, les murs et les ruelles résonnèrent des
cris de bienvenue.
C’est
aussi le seigneur Yahyyr’an qui la conduisit jusqu’aux chambres de son enfance
et qu’elle semblait avoir à peine quittées.
— Très
puissante reine, c’est mon bonheur de te voir ici, soupirait Yahyyr’an. J’y ai
pensé et pensé, et mille fois sacrifié à Almaqah ! Qu’il garde sa paume
sur toi jusqu’à la fin des temps. Mais je savais que tu serais la plus forte.
Tu peux questionner autour de toi, tous te le répéteront, je t’ai été fidèle du
soir au matin.
Makéda et
Tan’Amar passaient dans les chambres et sur les terrasses avec étonnement.
— Tu
vois, ma reine, disait encore Yahyyr’an en trottant à leur côté, Shobwa a vécu
ici, avec ses manières et ses outrances. Mais quand il est parti à Makka’h en
apprenant la mort de ton père, j’ai su qu’il ne reviendrait pas. J’ai tout fait
remettre en place, selon l’ordre qu’aimait Akébo le Grand.
Et c’était
vrai. Makéda retrouvait l’emplacement des couches et des coussins. Les tapis et
les tables, les tabourets et les braseros, tout était pareil au décor de ses
souvenirs. Et quand ils parvinrent sur la grande terrasse où son père aimait
prendre l’air dès son réveil, et qui était le signal pour les guetteurs de
sonner les trompes, elle eut la surprise de découvrir la maquette de terre
cuite du temple de sa mère.
Yahyyr’an
se rengorgea.
— Shobwa
voulait la détruire entièrement, mais mon père l’a sauvée…
Makéda eut
un sourire de politesse. Elle détourna le regard avec un embarras que Tan’Amar
perçut. Elle dit au seigneur Yahyyr’an :
— Fais-en
sorte que Shobwa vive encore. Que les nourrices le soignent. Je ne veux pas
qu’il meure tout de suite.
Yahyyr’an
la considéra avec étonnement, sans oser répondre.
Ce n’est
que plus tard, alors que le festin du retour animait le palais de tous ses
feux, qu’il déclara :
— Je
tiens ma promesse, ma reine. Il y a des taureaux de six ans dans les enclos. Tu
peux en choisir un dès demain. J’irai dans l’enceinte du grand temple de Bilqîs
le tuer pour l’offrir à Almaqah. Je veux mériter ton attention et ton
affection, ainsi qu’il est convenu.
Makéda
s’attendait à ces paroles depuis longtemps. Elle devina les yeux de Tan’Amar
qui pesaient sur elle, guettant sa réponse.
Elle
soutint le regard de Yahyyr’an, y lut sans peine l’impatience et la timidité du
désir. Elle approuva d’un signe. Tira de sa manche le petit taureau de bronze
avec lequel elle avait, enfant, inventé la cérémonie de Bilqîs pour son père.
Entre ses
doigts graciles, elle le fit danser devant Yahyyr’an.
— Je
n’ai rien oublié, puissant seigneur. Ce taureau est demeuré avec moi durant
toutes ces années. Il entrera dans l’enceinte, comme promis. Mais, comme tu le
sais, la cérémonie ne peut avoir lieu avant la fin des pluies. Tel était le
souhait de mon père. Demain, j’enverrai un messager à Axoum. Himyam et mon
oncle Myangabo doivent apprendre mon bonheur d’être ici pour l’annoncer partout
dans Saba. Et aussi, je veux que Kirisha, qui fut comme l’épouse seconde
d’Akébo, qui est née fille de la plaine de Maryab, me rejoigne. Nous ne pouvons
sacrifier sans elle.
La
déception défit le visage de Yahyyr’an.
— Tu
n’iras pas dans le temple avant la fin des pluies ?
— J’irais
chanter pour ma mère Bilqîs dans le sanctuaire, seigneur Yahyyr’an. Mais cela
s’accomplit sans les hommes.
De tout le
reste du festin, Yahyyr’an demeura silencieux et sans joie, tandis que les
autres seigneurs, entraînés par Tan’Amar, buvaient et braillaient la gloire de
leur reine jusqu’à l’ivresse.
Réfugiée
dans la chambre qui avait été celle de son père, Makéda les entendait rire.
Quand ils se calmaient, le frappement de la pluie sur le sol de la terrasse
traversait la nuit jusqu’à elle. Dans la chiche lumière d’une seule mèche de
lampe, c’était un murmure qu’elle reconnaissait, lui aussi.
La
déception étrange qu’elle avait éprouvée en redécouvrant Maryab la saisissait à
nouveau. S’y ajoutait le malaise de savoir que Shobwa avait vécu dans ces
pièces. Yahyyr’an avait tenté de leur redonner leur ancienne apparence, elles
n’en demeuraient pas moins
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