La reine de Saba
traître.
Il y eut
un grondement de stupeur chez les guerriers.
Makéda
était déjà debout.
Tan’Amar
leva vers elle un regard étonné, brillant d’admiration et de tendresse. Il
lâcha sa prise, abandonna Shobwa qui se roula dans la boue, gémissant, les
mains pressées contre son visage torturé.
Makéda
cria à l’adresse de Shobwa :
— Cela
pour que ta face porte devant Almaqah le crachat de mon père Akébo le
Grand ! N’espère pas mourir. Je veux que le peuple de Saba voit ton visage
et sache ce qu’il cachait.
Aux
jours de ténèbres le vil creuse la fosse de
son enfer.
Aux
jours de ténèbres, le serpent pousse la pierre qui
l’écrasera.
Aux
jours de ténèbres, le juste est encore droit sous
la paume de son dieu, et moi, j’en ai fini de chanter la
vengeance.
Un silence
lourd suivit le chant. On n’entendit plus que le vacarme du wâdi Asha’îl.
Derrière les guerriers, indifférents à la pluie, serrés les uns contre les
autres sur la rive étroite, servantes et serviteurs, toute la troupe de la
reine de Saba contemplait la scène avec des yeux avides autant que craintifs.
Tan’Amar
tira un tissu huilé de sa ceinture. Il le tendit à Makéda.
— Essuie
ta lame, ma reine. Elle craint plus l’eau que le sang du serpent.
Tout
autour les guerriers éclatèrent de rire. Le cri jaillit de leurs bouches en
même temps et rebondit contre les falaises, en écho au tonnerre :
— Longue
vie à Makéda, fille d’Akébo, reine de Saba par le sang et la justice !
2
Maryab, palais Salhîm
Il leur
fallut une lune pour atteindre Maryab.
La pluie
ne cessait de creuser les chemins. Ils passèrent par Ibn, Zaffa et Hinûaz.
Chaque fois les trompes sonnaient dès leur approche. Le peuple des cités
courait à leur rencontre, riant et criant de joie le long de leur caravane.
Transporté
sur une civière de branchages traînée par une mule, se trouvait Shobwa. Il
délirait de fièvre, le visage bandé d’un tissu ensanglanté, une jambe entre des
attelles. Ses souffrances et ses tremblements ne retenaient pas les insultes et
les quolibets. Tous se rappelaient la puissance qu’il avait imposée durant des
années avec une poigne de fer.
Des gardes
le protégeaient des coups et le soignaient.
— Laissez-le
cuire dans sa douleur ! grondaient-ils sévèrement. Notre reine veut qu’il
vive et souffre.
Lorsque
Makéda franchissait les portes, on entendait, comme un refrain :
« Longue vie à Makéda, fille d’Akébo, reine de Saba par le sang et la
justice ! »
Les
cadeaux et les festins abondaient. La caravane repartait au matin plus grosse
qu’elle n’était arrivée.
Enfin, un
matin aussi pluvieux et venteux que les autres, ils pénétrèrent dans le défilé
du Jabal Balaq qui avait vu leur sinistre fuite.
Makéda et
Tan’Amar y demeurèrent longuement silencieux. Ils donnaient l’impression
d’entendre encore le galop de leur course sur les chameaux noirs.
Le
lendemain soir, les falaises du Jabal Balaq s’écartèrent devant eux. Les toits
vernissés, les murs à tourelles, les hautes terrasses plantées d’arbres de
Maryab se dressèrent devant eux. Et toute la splendeur de la plaine des
parfums. Les digues, les ouvrages hydrauliques, les hautes portes, les
entrepôts, l’enceinte de Marham Bilqîs, le grand temple au sanctuaire de
colonnades, tout était là.
Intact et
aussi beau que dans leur souvenir.
Comme si
le temps n’avait pas passé.
Makéda
immobilisa sa monture. Troublée et moins heureuse qu’elle ne s’y attendait.
Était-ce
cela, la victoire ? Suspendre le temps ?
Elle
tressaillit. Depuis les murs de ronde, les trompes en cornes de bélier
sonnaient à tue-tête. La haute porte s’ouvrait. Une troupe portant des fanions
apparut devant des seigneurs en tenue d’apparat.
— Le
seigneur Yahyyr’an et toute sa jolie cour, grinça Tan’Amar à côté de Makéda.
*
**
De
celui-ci, elle ne se souvenait pas. Mais elle reconnut dans Yahyyr’an les
traits de son père, le seigneur Yahyyr.
Un homme
petit, à la silhouette trapue, aux membres épais, au nez fort, le teint sombre,
la bouche très ourlée. Mais si le père imposait une présence forte et sévère,
le fils avait le regard plus incertain et sa parole ne parut pas très vive.
La beauté
de Makéda le laissa dans un saisissement que seuls le vacarme de la foule et
les demandes de Tan’Amar, brutal et impatient de trouver des logements pour ses
guerriers, parvinrent
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