La reine de Saba
écho fragile de ses reins. Quand elle passait à la
lumière, la tunique ne pouvait rien masquer de sa poitrine et de ses cuisses
tendues. Dans le sourire, ses lèvres paraissaient suspendre un baiser. La
lumière grise des jours posait un velours de soie sur ses pommettes.
Quand ils
parlaient ensemble, elle se tenait près de lui à le toucher. Tan’Amar
s’enivrait de son parfum. Son corps, devenu plus lourd et un peu plus lent avec
l’âge, frémissait. Son cœur battait durement dans sa poitrine de combattant.
Mais il
lisait dans ses prunelles une intelligence et un savoir qui l’obligeaient à
incliner le front. Elle possédait le pouvoir d’être reine, mais aussi une autre
puissance qui lui était inconnue. Il ne reconnaissait plus celle qu’il avait
vue, impassible dans la violence, balafrer le visage du serpent Shobwa. Elle
devenait une femme de douceur et de lumière dont le regard soudain le
transperçait.
Dans leurs
silences, il guettait un frôlement, un sourire. Parfois, elle posait encore sa
main sur son poignet, comme elle le faisait au temps de Sabas. Mais ce temps
était révolu, il le pressentait. Comme était dépassé le rêve qui lui dévorait
les reins et ne le quittait plus. Pas même quand il allait retrouver une
servante ou l’épouse d’un seigneur au cœur de la nuit.
Il ne
doutait pas, cependant, qu’elle savait ce qu’il endurait. Par tendresse pour
lui, elle n’en laissait rien paraître. Comme il comprenait, lui aussi, d’où
venait son éprouvante beauté. Elle aussi avait un rêve qui la dévorait.
Peut-être
n’en avait-elle pas encore conscience. Mais lui, Tan’Amar, en devinait déjà la
source et savait que jamais il ne pourrait l’en détourner.
Sur cela,
comme elle, il préférait se taire.
Une
épreuve plus difficile que d’affronter une haie d’épées au combat. Quand la
colère et la tristesse le faisaient bouillir de rage, il s’en prenait au
seigneur Yahyyr’an qui s’obstinait à vouloir réclamer le dû d’une promesse
qu’on ne lui avait jamais accordée.
Enfin, un
jour où la pluie n’était que bruine, où les nuages laissaient filtrer un soleil
blanc, on annonça une petite caravane venant du nord. Elle allait sans mules,
sans chameaux de charge, seulement avec des montures de rechange pour dix hommes.
Tan’Amar songea sur-le-champ qu’il s’agissait de messagers. Il se posta devant
les murailles de Maryab pour les accueillir.
Quand les
caravaniers firent plier les genoux de leurs bêtes, il ne fut pas surpris de
les entendre demander si la reine de Saba était encore dans les murs. Ils
étaient envoyés par Salomon, roi de Juda et Israël, et porteurs d’un message
écrit.
Il prit le
rouleau de cuir contenant la lettre et le porta jusqu’à Makéda. Il surveilla
son émotion, bien qu’elle fît un effort magnifique pour ne rien laisser
paraître. Cependant elle ne put empêcher ses lèvres de se suspendre à son
souffle telles deux ailes d’hirondelle. Ses paupières se baissèrent et sa
poitrine battait contre le tissu de sa tunique.
Elle
tendit l’étui de cuir à Elihoreph. Elle évita de parler.
Le vieux
scribe sortit le papyrus de son étui. Il reconnut l’écriture ample et
vigoureuse. Son corps chenu vacilla. Il gémit, incrédule :
— Salomon,
ma reine ! C’est Salomon qui t’écrit !
Elle ne
dit rien. Ne donna pas d’ordre, ne montra pas d’impatience. Elihoreph comprit
de lui-même qu’il devait s’empresser de lire.
De moi,
Salomon, fils de David, roi de Judé et Israël, à toi, Makéda, fille d’Akébo,
reine de Saba. Puissante reine, je t’ai lue.
J’ai
appris que Pount n’était pas Pount mais Saba. J’ai appris tes bienfaits pour
moi et j’ai su que la sagesse de Salomon ne va pas au-delà de la mer des
Roseaux.
Zacharias
mon serviteur m’a parlé. Tamrin ton serviteur m’a parlé. L’un comme l’autre,
avec une langue déliée, m’ont dit qui tu es et ce que tu accomplis.
Les
écoutant, la magnificence de tes présents, l’or, l’encens et la myrrhe, qui ont
éclairé et parfumé mon palais, sont soudain devenus à mes yeux aussi pâles
qu’une lune derrière la brume.
Puissante
reine, ton pays est riche. Non pas de ce que tu crois, mais seulement parce que
ton peuple peut, chaque jour, poser les yeux sur toi. Ce sont leurs yeux que
j’envie, plus que l’or et les parfums, qui se payent et s’engloutissent dans
nos palais pour soutenir nos gloires éphémères.
La
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