La reine de Saba
servantes, le
sourire illuminant son large visage.
— Ça
y est, Shobwa est dans la boue !
*
**
Juste
avant l’aube, les guetteurs l’avaient réveillé. Depuis le milieu de la nuit,
l’orage avait frappé le plateau où se tenaient le traître et ses guerriers.
— Les
éclairs tombaient tout autour d’eux. La foudre tranchait l’air comme si Almaqah
pointait le doigt sur eux.
Les
archers de Shobwa ont pris peur. Les chameaux s’énervaient et menaçaient de
fuir au risque de se rompre le cou dans les sentiers de la falaise. Mes
guetteurs les ont vus se débander et sont venus aussitôt me prévenir. Il
faisait à peine jour. J’ai pris trente de mes meilleurs combattants, ainsi que
des chameaux accoutumés au vacarme. Je voulais être dans la gorge du wâdi
Asha’îl quand cette pourriture de Shobwa l’atteindrait !
Et c’était
ce qui était arrivé. Ereinté par son attente sur les falaises, entouré d’une
maigre garde de fidèles, leurs montures affolées, Shobwa achevait la périlleuse
descente au fond de la gorge alors que Tan’Amar remontait la berge du wâdi
Asha’îl, déjà gonflé par les pluies.
Le serpent
de Maryab n’était pas plus en état de fuir que de combattre. Au cours de la
descente, plusieurs de ses hommes s’étaient brisé les reins dans des chutes
vertigineuses. Les flots jaunes de la crue emportaient leurs corps sans vie,
jetant les chameaux sur les pierres des rives.
Les survivants
ne songeaient qu’à filer sans même tenter de tendre leur arc.
— Shobwa
a essayé de se dissimuler parmi eux, comme le couard qu’il est. Mais je l’ai
reconnu à travers la pluie. Croiras-tu qu’il porte toujours la même cuirasse
que lorsqu’il était capitaine de la garde sous la main d’Akébo ?
Se
séparant de ses hommes qui poursuivaient les fuyards, Tan’Amar était parvenu à
lui couper la route et à le forcer au combat. Dans son poing, le traître avait
vu luire le fer de la dague de Salomon. La peur avait brillé plus fort dans ses
yeux. Six guerriers de sa garde s’étaient pressés autour de lui pour le sauver,
fidèles et courageux, poussant leurs chameaux dans une course folle en amont du
wâdi.
— Leurs
bêtes étaient à bout. Ils ne pouvaient tenir ce train longtemps. Je ne l’ai pas
lâché de plus de dix coudées.
Le wâdi,
submergé par la crue, débordait de ses rives. La piste n’était plus que boue.
Les pierres des gués devenaient invisibles, les passages sur les roches si
glissants que les bêtes risquaient de s’y rompre les membres. Sur le haut des
falaises, la foudre frappait encore. Elle pulvérisait des roches qui
rebondissaient en éclats mortels jusqu’au fond de la gorge.
— Et
soudain, devant nous, la faille faisait une courbe serrée. L’eau du wâdi y
était rouge sang. Elle bouillonnait dans un fracas à rendre sourd. Un pont de
rondins demeurait encore au-dessus des flots et conduisait sur l’autre rive. Un
passage sûr par temps de sécheresse, mais de la folie sous l’orage. Mes hommes
m’avaient rejoint. Shobwa a su qu’il n’allait pas nous échapper. Il a frappé sa
monture à grands coups pour qu’elle s’avance sur les rondins. Sa garde a voulu
le retenir… Il n’est pas même parvenu au milieu !
— Ne
me dis pas qu’il s’est noyé ! s’écria Makéda. Il me le faut vivant. Vivant
entre mes mains !
Tan’Amar
rit.
— Ah,
ma reine ! Je le sais. J’ai fait pour toi la chose la plus
incroyable : je lui ai sauvé la vie !
Les
guerriers de Tan’Amar avaient jeté des cordes. Au risque de se faire emporter
lui aussi par la crue, Tan’Amar était allé arracher Shobwa aux flots, le tirant
sur la rive par les cheveux.
Il plongea
son regard dans celui de Makéda.
— Considère
que c’est le plus grand cadeau que je puisse t’offrir, Makéda, ma reine. Shobwa
n’aura pas d’autre chance avec moi.
Makéda devina
son émotion. Elle s’approcha et se serra contre la poitrine puissante de son
plus fidèle ami.
— Tu
es mon roi, lui chuchota-t-elle à l’oreille. Je n’aurais jamais assez de mercis
pour toi.
Elle
s’écarta avec douceur, demanda :
— Où
est-il ?
Stupéfait,
transi par l’humidité qui collait tunique et cuirasse à sa peau, la gorge
saisie par l’émotion, Tan’Amar demeura sans voix. Il passa ses puissantes mains
dans ses cheveux trempés avant de trouver la fermeté de ton qui convenait pour
répondre :
— Il
t’attend là-bas, dans une belle
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