La reine de Saba
chameaux aussi noirs que leurs visages, les gardes royaux de Saba, aux
culottes bouffantes couleur de l’arc-en-ciel, aux cuirasses et aux casques de
cuir lustré et clouté d’or, formaient deux haies entre lesquelles marchait une
horde de chamelles blanches. Chacune était sanglée d’une selle assez large et
confortable pour que deux servantes puissent y prendre place. Un tapis épais, à
franges d’argent, recouvrait la bosse et le cou des bêtes, où reposaient les
pieds nus des femmes.
Les
servantes étaient vêtues d’une tunique simple, brodée au cou d’un cordon d’or,
et couvertes d’un voile qui laissait admirer leurs visages sombres. Chacune des
tuniques, chacun des voiles, possédait une couleur ou une nuance différente, si
bien qu’à les contempler tous ensemble on croyait voir soudain l’infinité des
couleurs de l’univers émerger du désert.
Entre
elles, à intervalles réguliers, déambulait une chamelle sans autre charge sur
son bât qu’un large brasero d’où s’échappaient les fumées puissantes des
encens.
Lorsque la
caravane fut à moins de six ou sept cents coudées, les olifants de Salomon
sonnèrent. Les gardes devant la porte de Bersabée s’écartèrent.
Dans un
galop foudroyant surgit le char du roi de Juda et Israël. Un double attelage,
cheval blanc, cheval noir. Le conducteur, tout de cuir vêtu, faisait claquer
son fouet immense au-dessus des chevaux aux oreilles harnachées de grelots
d’or. On vit Salomon, en tunique de prince du Temple, les manches brodées de
larges ourlets diaprés, les cheveux ceints de la couronne d’or plat piqué de
gemmes pourpres que portait son père David. La main droite, baguée, refermée
sur la lisse de bronze de la coque rutilante, la gauche posée sur sa poitrine,
il tenait aussi aisément l’équilibre que si le char lancé telle une furie était
immobile.
Quand il
passa devant les rangs de chars qui attendaient, un seul et même salut sortit
des gorges des archers. Dans un train magnifique, ils prirent la suite de
Salomon, leur ligne formant une pointe de flèche parfaite et fondant sur la
caravane de la reine de Saba comme si elle allait l’attaquer.
Cependant,
pas un instant les montures de Saba ne ralentirent leur pas tranquille. Dans un
gracieux mouvement tournant les chars se scindèrent en deux lignes et revinrent
sur les flancs de la caravane, pour se ranger en colonnes et adopter le même
rythme.
Salomon,
parvenu à l’extrême fin de la caravane de la reine de Saba, pénétra en son
cœur, se fraya un passage entre les chamelles blanches des servantes qui
s’écartèrent une à une, jusqu’à ce qu’on découvre, comme au sein d’un écrin, la
monture royale.
Un double
bât soutenait un trône de cuir surmonté d’un dais en forme de lanterne sur la
bosse de la chamelle, dont le cou et les flancs étaient recouverts de
bandelettes scintillantes de pépites d’or brut. Des montants du dais flottait
en cascade une superposition de voiles ocre, amarante et indigo. Une danse de
couleurs qui interdisait encore de distinguer la reine de Saba.
Le char de
Salomon parvint à sa hauteur. Le roi de Juda et Israël se tourna vers la reine
invisible. Son front s’inclina. La couronne de David brilla. On crut que les
voiles allaient s’écarter. Qu’au moins une main splendide allait les repousser,
laissant paraître cette reine du Midi dont la rumeur du désert vantait déjà la
beauté prodigieuse.
Mais non.
On vit
seulement la chamelle royale presser le pas. Les trompes de la garde de Saba
résonnèrent furieusement. Les chamelles des servantes s’écartèrent. Salomon fit
claquer son fouet pour prendre les devants. Ses roues soulevèrent la poussière
et gonflèrent sa tunique.
Il
atteignit en un instant la tente dressée sous l’enceinte de Bersabée. La
chamelle de Makéda, fille d’Akébo le Grand, s’agenouilla devant lui.
*
**
Ce que nul
n’avait pu constater, et dont jamais aucun des scribes bavards et vantards qui
contèrent mille et mille fois la rencontre par la suite ne se douta, c’est la
stupeur de Makéda lorsque le char de Salomon se rangea sous son dais.
Les voiles
colorés dansaient devant ses yeux. Ils empêchaient de voir parfaitement. Mais
elle ne pouvait s’y tromper.
Salomon
était grand, des épaules larges tendaient sa tunique. Il se tenait avec la
raideur aisée des tout-puissants. Le regard du pouvoir assuré depuis longtemps
brillait entre ses longs cils. La main
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