La reine de Saba
baguée qui serrait la lisse était belle,
enveloppait sans peine la poignée de bronze.
Il avait
le teint à la fois pâle et mat des Hébreux. Sous la couronne, sa chevelure d’un
noir de nuit tombait en boucles lourdes sur ses épaules. Sa barbe ne masquait
pas sa bouche large, un peu pâle et encore ferme.
Mais les
paupières, le front, les tempes avouaient son âge.
L’âge d’un
homme qui s’était détaché de la jeunesse depuis bien longtemps ! Salomon
était vieux.
Pourquoi
n’avait-elle jamais songé à cela ? Un roi et un homme vieux !
Pourquoi
s’était-elle imaginé qu’il puisse en être autrement ?
Mais que
lui importait ?
Elle était
venue pour le commerce de leurs royaumes et le commerce de la sagesse. Elle se
l’était répété : était-il un homme au monde qui fût assez sage, qui
possédât assez d’intelligence pour mériter son admiration ?
Elle avait
dit à Kirisha : « Ce n’est pas ma beauté qu’il doit voir. » Elle
ne venait pas pour plier sous lui, pour chanter le désir, mais pour entendre le
mensonge ou la vérité de la sagesse.
Pourquoi
se soucier de son âge ?
Pourquoi
se soucier qu’il fût laid ou beau ?
Kirisha
avait dit : « S’il est un homme sur terre dont tu veux connaître le cœur,
c’est lui. »
Qu’en
savait Kirisha, elle qui n’avait connu que le cœur d’un seul homme ?
Pourtant,
elle avait beau se raisonner, quand elle fit plier les genoux de sa chamelle et
écarta enfin les voiles qui la masquaient, sa main pesait. De ce poids absurde
qui soudain lui lestait aussi la poitrine et instillait dans son sang le venin
de la déception.
Elle le
regarda bien en face et vit encore mieux les rides qui striaient ses tempes. Ce
temps qui voûtait un peu ses épaules et laissait dans ses pupilles une
profondeur qui absorbait l’éclat du jour sans le renvoyer tout à fait.
Mais elle
constata sans peine la vivacité de sa surprise lorsqu’il la découvrit sur les
coussins brodés de fil d’or. Puis se levant, apparaissant dans une simple
tunique blanche dénuée de faste, sinon la silhouette facile à deviner de son
corps et un immense collier de fines plaques d’or, chacune sculptée d’un signe
de l’alphabet de Saba, sur sa poitrine.
Il posa
une main sur son cœur. Une main aussi belle qu’elle l’avait entrevue, elle put
s’en assurer, aux doigts longs et élégants, à peine mouchetée sur le dos par le
signe de l’âge.
Et comme
il fronçait déjà les sourcils, cherchant des yeux un scribe pour traduire ses
mots, elle sut sourire et déclarer :
— Je
te salue, Salomon, roi de Juda et Israël. J’ai reçu ta lettre et accepté ton
invitation.
— Reine
de Saba ! Tu parles la langue des Hébreux !
— Je
parle ta langue et je connais l’histoire de tes pères.
Elle
s’amusa à scruter sa stupéfaction. Il avait prévu des mots qui ne convenaient
plus. Elle ajouta :
— Saba
et Juda et Israël n’honorent pas le même dieu. Ton royaume et le mien se
situent aux extrémités de la mer Pourpre. Nous possédons l’encens et l’or, tu
as le fer et les chars de chevaux. Tu bâtis, nous aussi. Nous en hauteur, toi
en largeur. Tu crains la sécheresse, nous craignons l’eau. Nous sommes
différents. Mais les langues des peuples s’apprennent. C’est ainsi qu’ils
peuvent acquérir la même sagesse et le même savoir. Et c’est pourquoi je suis
venue, puisque l’on dit que tu es le plus sage.
Il lui
sourit, s’efforçant de ne pas trop se montrer décontenancé par sa beauté et
l’agilité de sa langue.
Un hébreu
parfait. Un accent un peu âpre, une élocution un peu lente mais qui convenait à
cette beauté qu’elle semblait vouloir, on ne savait pourquoi, rendre rugueuse.
Il songea
à Natan et à Tsadok. En voilà deux qui se trouveraient encore plus sidérés que
lui d’entendre cette reine de Saba.
Pour une
fois une femme si peu semblable aux autres. Quel autre homme mieux que lui
pourrait l’affirmer ?
De bien
des femmes, sa mémoire avait perdu le souvenir. Ses mains, ses paumes, ses
lèvres en avaient oublié une multitude. Il avait désiré mille fois, admiré
souvent, il s’était enchanté et rassasié. Mais une certitude : jamais il
n’avait éprouvé ce choc. Elle n’était pas seulement une femme belle. Elle était
la beauté. Cette beauté que le Tout-Puissant avait glissée dans le monde pour
que les hommes s’initient à la reconnaître.
Les
trompes, les olifants et
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