La reine de Saba
honte au front du peuple de Juda et
Israël. On ne fait plus un pas dans Jérusalem sans être accablé par les
criaillements et les gémissements des Moabites, Amanites, Phéniciens,
Égyptiens. On a même vu des esclaves à cheveux blonds travailler pour les
charpentiers de Tyr… Il n’est pas un faux dieu qui ne trouve refuge dans la
ville de Yahvé ! Leurs sacrifices puants insultent jour et nuit notre
alliance avec l’Éternel. Salomon ! Sais-tu ce que l’on dit dans les
rues ? « Salomon ouvre les cuisses d’une étrangère, il en sort le cul
d’un dieu. » Les prêtres disent : « Yahvé, bientôt, ne le
supportera plus ! Yahvé frappera Juda et Israël ! » Ils ont
raison. C’est ce qui arrivera si tu continues…
— Et
tu veux répéter ton erreur avec cette reine du Midi, s’empressa d’ajouter
Natan. Elle aussi a son dieu. Elle aussi ignore Yahvé ! Elle aussi, pour
lui ouvrir les cuisses, tu lui offriras la terre de Canaan !
Salomon
les considéra. Ils respiraient fort, leurs vieilles poitrines secouées de
colère. Il opina doucement.
— Je veux
savoir qui marche avec Benayayou. Dans le palais comme au temple. Les fils de
mes épouses, les lévites…
Natan
sortit un rouleau de papyrus et le lui tendit en silence.
Salomon
s’en saisit et le glissa dans sa propre manche sans le dérouler.
— Bien.
Salomon a entendu vos remontrances. Il n’est ni sourd ni aveugle. Cependant il
considère que Juda et Israël a besoin de l’or de Saba. Pour le reste, on verra.
Natan et
Tsadok le contemplèrent avec inquiétude. Salomon rit soudainement, charmeur,
léger. Il les enlaça et les serra dans ses bras. Deux vieilles carcasses qui ne
pesaient pas lourd entre ses bras puissants.
— Apaisez-vous,
mes amis. Je vous aime, je ne vous couvrirai pas de honte.
Il les
relâcha, rit à nouveau, l’œil gourmand, excité.
— Le
fait est que je n’ai encore jamais connu de femme à la peau noire. Si le
Tout-Puissant, bénit soit-Il, a la volonté d’en pousser une vers moi, qui est
Salomon pour détourner les yeux ?
2
Bersabée
L’aube
levait une brume poussiéreuse et bleutée sur le désert.
L’horizon
était vide.
Makéda
s’en détourna sans un mot, le visage secret. La veille, alors qu’ils
approchaient du crépuscule, elle avait fait venir les guides.
— Combien
de temps devons-nous avancer encore avant la prochaine ville ?
— Avant
la nuit, nous entrerons dans Bersabée.
Ce nom,
elle le connaissait. Selon le rouleau de mémoire d’Elihoreph, Abraham, le père
des Hébreux, y avait planté un arbre à la gloire de son dieu unique. Il y était
demeuré de longs jours, impatientant sa troupe sous les tentes. Agar, tout à la
fois sa concubine et la servante de son épouse Sarah, y donnait le sein à son
fils. Depuis toujours, et malgré leur dieu unique, les Hébreux aimaient trop de
femmes à la fois.
Elle avait
annoncé aux guides :
— Arrêtons-nous
ici. Dressons nos tentes et établissons notre camp. Je n’irai pas plus loin. Si
Salomon veut me rejoindre, c’est ici qu’il me trouvera.
Salomon
avait écrit dans sa lettre : « Je guette ta venue aux portes de
Jérusalem. » Peut-être en allait-il ainsi, au mot près, dans la politesse
de Juda et Israël. Mais Makéda, reine de Saba, n’était pas d’humeur à s’y
plier.
Les yeux
rouges à force de scruter la brillance du désert où n’apparaissait pas son
fils, Elihoreph avait entendu son ordre et baissé la tête, sans oser protester.
Lui aussi n’était que déception.
En vérité,
dès que les birèmes et les barcasses de Saba eurent atteint le port
d’Ezion-Guézert, Makéda avait douté de la sagesse de ce voyage.
Pour tout
accueil à leur débarquement, ils n’avaient trouvé qu’une colonne de guerriers
hébreux, maussades et impolis. Elihoreph s’était avancé vers eux avec
impatience, balbutiant d’émotion. Un officier l’avait saisi sans douceur,
l’accablant sous une avalanche de questions. Qui étaient-ils ? D’où
venaient-ils ? dans quel but ? Et pourquoi avaient-ils la peau si
noire ? Et que faisait-il lui-même, qui paraissait un véritable Hébreu, en
cette compagnie ?
Elihoreph
en bredouillait, honteux et impuissant. Les soldats s’alignaient sur la berge,
surveillant les bateaux de Saba, suspicieux, les lances et les arcs pointés.
Sur les ponts des birèmes, les gardes de Saba grondaient, bouclier levé, arc au
poing. Les servantes
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