La reine de Saba
ignorant de la vérité qui lui a donné la
vie. Où peut-il mieux apprendre ce qu’il ignore, sinon dans l’amour d’une
femme ?
Cette
fois, elle le regardait. Une femme belle et triste. Ou bien était-il impuissant
à lire les expressions d’une Kouchite ?
Et lui, il
détournait la tête.
Elle
pouvait croire qu’il fuyait cette joute de mots où elle désirait l’entraîner
déjà, à peine arrivée devant lui.
Il se tut,
ferma son visage, sentit son âge et de la mauvaise humeur. Allaient-ils se
combattre ainsi ? Est-ce ce qu’elle espérait ? S’aveuglait-il à sa
beauté ? Venait-elle devant Salomon pour lui lancer ensuite qu’il était
vieux et las ou que sa sagesse était usée comme la margelle du puits de
Bersabée ?
Il la
convia à s’asseoir sur le siège de cèdre près de lui. Dans le mouvement qu’elle
fit pour prendre place sur les coussins, sa tunique se tendit. Beauté des
cuisses, beauté de la taille.
Et lui,
n’était-il près d’elle que pour cela ? Lui qui avait dit : « Je
n’ai jamais connu de femmes à peau noire. Si le Tout-Puissant, béni soit-Il, a
la volonté d’en pousser une vers moi, qui est Salomon pour détourner les
yeux ? »
Ce feu
ancien mais qu’il savait encore et toujours attiser.
Peut-être
Tsadok et Natan avaient-ils raison.
Il claqua
dans les mains pour que s’ouvre la fête du festin, que les plats et l’abondance
les occupent. Il la contempla de biais, respira à nouveau ce nard qui lui
brûlait les tempes.
La tente
s’emplissait de la maigre cour qui l’avait suivi dans sa cavalcade depuis
Jérusalem. Les guerriers de la suite de Saba entraient, empruntés, les autres
n’avaient d’yeux que pour elle.
Les
servantes accoururent, s’agitèrent. Les danseurs lancèrent des bâtons, firent
des jongleries. Le soleil s’inclina à travers la toile de la tente, posa un
doigt de lumière sur la gorge de la reine de Saba, entre ses tresses. Il devina
la tendresse du cou, la splendeur de la chair où il pourrait poser ses lèvres,
oubliant qu’il était le roi de Juda et Israël. Il pourrait lui demander de
chanter les paroles qu’elle avait écrites :
Le
souffle des fils de l’homme, qui saura quand il
s’élève jusqu’au bleu du ciel ?
Et lui, sa
bouche contre sa gorge noire, il sentirait la vibration des mots le pénétrer.
Il laissa
les flûtes, les cymbales et les tambourins jouer.
L’un comme
l’autre, ils mangeaient peu malgré l’abondance. Il vit la reine de Saba
s’ennuyer lorsque les danseurs s’agitèrent devant eux en tenues de fleurs et
d’oiseaux. Une idée qu’il avait eue en songeant qu’il lui raconterait comment,
dans Jérusalem, on le disait maître des animaux autant que des hommes.
Une idée
qu’il trouvait maintenant, et comme elle, d’un comique ridicule.
Le
brouhaha, sous la tente, montait avec la ripaille et les rires. Il vit
l’indifférence de la reine de Saba et une fois encore sa tristesse. Il songea à
ce qu’il lui revenait d’accomplir dans les heures prochaines.
Salomon le
sage, Salomon le rusé. Salomon sans pitié.
Un ouvrage
véritablement qui n’était plus de son âge mais auquel il devait s’atteler sans
tarder, quoi qu’il lui en coûtât.
Il
s’inclina vers elle pour qu’elle soit la seule à l’entendre.
— La
coutume chez nous est de danser pour honorer nos visiteurs. Mais je vois que la
danse t’ennuie.
— Je
t’ai dit pourquoi je suis venue. Il trouva ses yeux et sourit.
— Toi,
tu ne t’étonnes de rien, mais moi, je m’étonne de toi. Toi, tu me connais, et
moi je te découvre comme un voyageur qui s’aventure très loin du pays de sa
naissance.
Elle ne
dit rien mais le noir de ses pupilles changea. Gardant son regard sous le sien,
il ajouta :
— Je
suis venu te saluer sur ton chemin vers Jérusalem. Surtout, n’y vois aucune
indifférence, mais déjà je dois courir à mes affaires, qui sont celles de ma
vie comme celles du royaume de Juda et Israël. Prends patience jusqu’à demain.
Je serai à l’aube devant ta tente et te conduirai aux portes de mon palais.
Pour la
première fois, il vit l’étonnement lever ses sourcils. Il espéra qu’elle savait
lire, elle aussi, ce que révélaient ses yeux.
— Permets
que je te prenne la main pour te raccompagner sous le soleil.
Elle
l’avait laissé faire sans même songer à refuser. Il avait les iris d’un brun
roux dans la pénombre de la tente. Au-dehors, sous le soleil, il y
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