La reine de Saba
les tambours menaient un vacarme insupportable. Elle
attendait devant lui qu’il fît un signe. Raide et peut-être moins confiante
qu’elle ne le paraissait.
Il murmura
un compliment banal, lui assura l’honneur et la joie qu’il éprouvait de sa
venue. Des mots qu’il disait en pagaille en toute occasion. Pour l’instant, il
ne lui en venait pas d’autres. Il ajouta, y mettant plus de sincérité,
l’émotion de l’entendre parler la langue de son peuple. Elle ne répondit pas,
se contenta d’une lumière narquoise dans son regard noir. Il remarqua la courbe
des cils, la finesse de la peau sous les yeux, sur le plat de la joue. Le
soleil y posait une ombre dorée, retenue et délicate.
Une
tendresse qu’il eût aimé effleurer de la pointe d’un doigt. Plus tard,
peut-être.
Il sourit
et l’invita sous sa tente.
Elle se
glissa sous la portière tenue par les gardes. Elle le frôla. Il vit qu’elle
prenait soin de garder ses distances. Son parfum le saisit à la gorge. Il le
reconnut. Un champ de nard, rare et puissant.
Son
collier aux signes étranges tintinnabulait sur sa poitrine. Il se garda
d’admirer ses seins.
Quand ils
eurent fait quelques pas dans la lumière plus tendre de la tente, il vit sa
démarche que la simple tunique dévoilait sans pudeur. Les hanches d’une biche
qui ignore le chasseur. Il songea : « Les tresses qui roulent sur ses
reins, un dévalement de chèvres dans la pente de Galaad ! »
Et
cependant demeurant sévère. Ne cédant en rien à l’étonnement. Découvrant les
tables marquetées d’ivoire et recouvertes de nourriture, les tentures
éblouissantes, les sièges de cèdre et les coussins de soie, les chandeliers
d’or, les cruches, la vaisselle d’or et d’airain, sans un tressaillement de ses
lèvres écarlates.
Pas un
signe de surprise dans l’arc d’hirondelle de ses sourcils, à voir, au centre de
la tente et couvert de guirlandes de fleurs, un vaste puits à la margelle
sculptée par des milliers de mains et de cordes, usée par la mémoire.
Il
dit :
— Ce
puits, notre ancêtre Abraham l’a creusé. Abraham, le premier père de notre
lignage.
Elle
approuva d’un signe, sans lever les yeux vers lui.
— J’ai
appris qui est Abraham.
— C’est
ici qu’il a signé son pacte d’amitié avec Abimélek afin qu’ils laissent leurs
troupeaux paître ensemble. C’est le puits de la paix.
À nouveau,
elle acquiesça sans le regarder. Cherchant à la faire réagir, il ajouta :
— Nous
l’appelons le Puits du Serment, Ber Sabée. Abraham a été fidèle à son
serment. Voici mon souhait : que vienne entre nous un serment de roi et de
reine.
Cette fois
elle lui dévoila son visage, ses yeux plus noirs encore que sa peau.
— Abraham
a été fidèle à Abimélek. Mais c’est Agar, sa servante et la mère de son premier
fils, qui a trouvé l’eau de Bersabée. C’est elle qui la première s’est penchée
sur ce puits pour en tirer la vie. Elle errait dans le désert avec son nourrisson
hurlant de soif. Lui, Abraham, l’avait prise puis ignorée et chassée de sa
tente.
Elle
montrait sa colère plus que son savoir. Il dit avec douceur :
— Abraham
fut le premier de nos pères, mais il ne fut pas parfait. Yahvé a voulu
l’Alliance avec notre peuple car nous ne sommes pas parfaits. Il a voulu la
circoncision pour nous le rappeler. Et puis, Sarah, l’épouse d’Abraham, était
stérile.
Elle se
détourna, ourlant ses lèvres, lui cachant son regard.
— Vous,
les rois hébreux, vous voulez des femmes et des femmes. Et toi, Salomon le
sage, on m’a dit que tu en voulais encore plus que les autres.
— Il
faut des fils, reine de Saba. Les fils sont la richesse d’un homme, et plus
encore d’un roi.
Elle ne
répondit pas tout de suite. Il vit sa poitrine se gonfler sous le collier. Elle
serrait sur son ventre ses mains aux doigts si fins qu’il ne pouvait s’empêcher
de songer déjà à leurs caresses.
— Est-ce
là la parole de Salomon que l’on vient entendre depuis l’est et l’ouest ?
La richesse des hommes n’est-elle pas d’abord les femmes ? Sinon, comment
auras-tu tes fils ? N’est-ce pas cela, l’amour premier qu’il faut nourrir
pour la vie ? Que valent les fils des femmes forcées et rompues ? Que
vaut la richesse d’un homme, si elle est contenue dans le fer de ses armes et
les arpents de ses terres ? Il accumulera l’or que l’on trouve en
fouillant la poussière et il restera
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