La reine de Saba
venait du
gris. Il avait un regard attentif, un dos raide et un orgueil immense. Sa main
était chaude, ne serrait pas ses doigts. Il la touchait comme on eût tenu un
oiseau.
Le silence
était tombé d’un coup lorsqu’ils s’étaient levés. Les regards étaient dardés
sur eux et leurs mains rassemblées.
Elle
aurait pu ne pas supporter qu’il garde sa main alors qu’ils passaient entre les
danseurs ridicules et les musiciens, tous courbés jusqu’à terre. Dehors, il
avait incliné le front et libéré ses doigts.
Elle ne
doutait pas de lui avoir déplu. Salomon n’avait pas coutume d’entendre des
vérités comme les prononçait Makéda, reine de Saba.
Pourtant,
plutôt que de la colère, il avait montré de la douceur. Plutôt que de
l’impatience, de l’étonnement. Il avait cherché son regard et il l’avait
laissée le juger. Pourtant, ce pouvait n’être qu’un tour du roi aux mille
épouses.
Elle était
montée sur sa chamelle ; lui avait disparu dans la poussière soulevée par
son char et les cent autres qui le suivaient. S’il la fuyait en courant à ses
affaires, elle l’ignorait.
À cet
instant-là, il avait perdu son âge. Sa silhouette était celle d’un homme
puissant qui ne se retourne pas sur la trace qu’il vient d’incruster dans les
esprits.
Il avait
ordonné que sa garde aux boucliers portant le chandelier à sept branches de son
sceau se tienne au large de sa tente, à quelques pas de la garde royale de
Saba. Elle n’avait pas protesté. Maintenant, elle se demandait s’ils étaient là
par respect ou pour la contraindre à l’immobilité. Gomme elle ne savait pas s’il
serait de retour ainsi qu’il l’avait assuré.
Lorsque le
crépuscule arriva, elle avait songé plusieurs fois à son visage et à ses rides.
À cette déception qu’elle avait ressentie en le découvrant. Elle n’aimait pas
ce qu’elle pensait de lui. Elle n’aimait pas le trouble qu’il avait instillé en
elle par sa seule présence. Elle ne tenait pas en place et se jugeait avec
dureté. Cependant, plus le temps passait, plus elle songeait que ce soudain
départ de Salomon était un prétexte. Demain, à l’aube, elle l’attendrait en
vain.
Une
sottise que le peuple hébreu ne tarderait pas à se raconter en riant :
« La reine de Saba est venue à Bersabée. Salomon lui a pris la main, il
s’est incliné dessus et il s’en est retourné à Jérusalem au grand
galop ! »
La nuit
était pleine, les torches allumées, quand elle se résolut à convoquer Zacharias
devant elle. Elle lui dit :
— Ton
maître est parti à ses affaires. Qu’y a-t-il de si urgent qui le contraigne à
s’éloigner ainsi ?
Zacharias
la contempla avec embarras.
— Puissante
reine, je ne sais pas si je puis te le révéler.
— Que
crains-tu ? Je t’ai écouté à Sabas quand tu couvrais ton roi d’éloges. À
cause de toi, je suis venue jusque dans ce désert pour admirer ton maître. Je
ne vais pas contre lui.
Zacharias
baissa les paupières, approuva avec un soupir. Il murmura :
— Je
n’oublie pas que, sans toi, je serais de la nourriture pour les poissons de la
mer Pourpre.
— C’est
vrai. Je t’écoute.
— Il
en est aujourd’hui, dans Jérusalem et dans le palais, qui parlent contre
Salomon.
— Que
disent-ils ?
Zacharias
l’affronta avec franchise.
— Puissante
reine, quand je suis revenu à Jérusalem après mon voyage, j’ai trouvé le pays à
l’opposé de ce qu’il était à mon départ. Ce qui était admiré hier est critiqué
aujourd’hui. On raconte que Salomon est trop faible avec ses épouses
étrangères, qu’elles envahissent Jérusalem avec leurs dieux et leurs prêtres et
souillent la terre de Canaan. Elles ouvrent des sanctuaires, elles font des
sacrifices païens, leurs prêtres accomplissent ces rites abominables que le
Tout-Puissant a condamnés depuis son Alliance avec Abraham et Moïse, voilà ce
qu’on murmure. Et aussi que le nouveau temple est trop grand, trop beau, qu’il
a mené Salomon et le royaume de Juda et Israël à la ruine. On prétend que
Salomon est faible et que Pharaon n’est plus son ami. On dit que la colère de
Yahvé va s’abattre sur nous pour purifier le royaume de ses fautes. Hier, on
disait : « Salomon est le plus grand des rois de Juda et
Israël. » Aujourd’hui, on l’oublie. On trouve mille histoires, mille
détails contre lui…
Elle le
laissa parler. Maintenant qu’il avait commencé,
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