La reine de Saba
Zacharias, comme à son
habitude, ne savait plus se taire. Il raconta Benayayou et la fille de Pharaon.
Il raconta les quolibets des rues de Jérusalem, les menaces dans le nouveau
temple.
Cependant
Zacharias n’avait plus ni la fougue ni l’orgueil qu’il avait montrés à Sabas.
Ses histoires étaient tristes.
Quand il
se tut, elle lui demanda encore :
— Tu
crains pour lui ?
— J’aime
Salomon, puissante reine. Moi, Zacharias ben Noun, ce que j’ai aimé hier, je
l’aime encore aujourd’hui. Il a été le plus sage et le plus grand quand il
était dans la force de sa jeunesse. Va-t-il cesser de l’être à l’âge où les
autres hommes s’assagissent ?
L’expression
de Zacharias était intense. Elle laissa glisser un silence avant de demander
encore :
— Et
que va-t-il faire cette nuit, selon toi ?
— Montrer
qu’il est encore Salomon.
Cette
fois, Zacharias souriait. Elle, elle fut surprise de sentir la crainte mordre
ses reins.
Quand
Zacharias eut quitté sa tente, elle réfléchit un moment. Puis elle demanda aux
servantes de prendre les torches et de la suivre.
Dans la
nuit, elle alla réveiller les prêtres venus avec elle. Elle leur ordonna
d’éteindre sans attendre les feux des sacrifices qui, selon la coutume de Saba,
avaient été allumés dans les coupes de bronze au centre du camp. D’abord
ahuris, les prêtres protestèrent et tempêtèrent.
Elle les
fit taire, pointa un doigt sur leur poitrine et déclara :
— Il
se peut qu’Almaqah vous écoute, mais c’est moi qu’il connaît et c’est moi qui
ordonne. Si ce n’est pas vous qui recouvrez les feux pour les éteindre selon la
règle, ma garde renversera vos coupes de bronze dans la poussière.
Ils
avaient menacé :
— Almaqah
retirera sa paume, reine de Saba !
— Almaqah
connaît sa puissance. Ici, nous sommes sur la terre de Salomon. Il n’étend sa
paume sur aucun de nous.
**
Il avait à
peine pris le temps de dormir, secoué sur les épais coussins de sa litière
royale qui le ramenait aussi vite que possible vers Bersabée. Malgré la
fatigue, les chaos et le bruit des roues le réveillaient. Autrefois, il
parvenait à les ignorer.
Dès que la
pointe du jour s’était glissée entre les pans de la bâche, il avait réclamé son
char. C’était debout, la main sur la lisse de bronze, qu’il voulait paraître
devant les tentes de la reine de Saba.
La veille,
alors qu’il courait vers le combat, plus d’une fois la pensée de la reine du
Midi lui était venue. Plus tard, durant la nuit de sang, il avait aussi songé à
sa beauté noire.
Plusieurs
fois, il s’était demandé si elle allait forcer le cordon de gardes qu’il avait
disposé autour de son camp.
Mais
maintenant, tandis que le char filait vers elle dans le désert, c’était de
nouveau à Benayayou qu’il pensait. Il revoyait le dernier visage de celui qui
avait été son général après Joab. Peut-être même son ami, parfois.
Benayayou
à genoux, la terreur des lâches dans les yeux. Benayayou trop vieux pour
comploter et affronter le châtiment des perdants. Benayayou suppliant :
« Salomon ! Salomon, mon frère ! Salomon, combien de fois ai-je
tué pour toi ? Mes mains dans le sang pour que tes paumes restent
fraîches ! »
La tête de
Benayayou roulant dans la poussière, cela aussi, il avait de la difficulté à se
l’ôter de l’esprit.
Il était
parvenu bien tard dans la vie pour faire ainsi couler le sang. Un écarlate qui
adhérait plus lourdement à son esprit qu’autrefois.
Il avait
évité de voir et d’entendre ce qu’il se passait dans les autres cours de la
forteresse de Thamar où les conjurés avaient été réunis. À l’exception des
épouses, bien sûr.
À quoi bon
ces massacres pour affirmer une fois encore qu’il était Salomon ? Parce
que le peuple l’attendait comme il attend l’orage. Parce que s’il n’y a pas
d’orage, il n’y a pas de puissance qui demeure effroyable et mystérieuse.
Et pour
lui-même, dans le sang de Thamar, il avait pris le temps de réclamer
l’indulgence de l’Eternel.
Dans
quelques heures, Jérusalem se réveillerait avec la nouvelle. « Salomon est
redevenu Salomon ! » La rumeur sauterait de rue en rue plus vite
qu’une sauterelle.
Ensuite
courrait l’autre rumeur : « Salomon est de retour avec la reine du
Midi ! Salomon s’est trouvé une épouse couleur de nuit ! »
Peut-être.
**
Elle avait
peu et mal dormi. Elle se
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