La reine de Saba
quels qu’ils fussent,
avaient pointé dans son destin.
Lorsque le
soleil eut établi des ombres fermes dans les patios et les jardins, on vint la
chercher. Dix gardes de Salomon portant des boucliers d’or, des casques leur
couvrant les joues, et qui lui firent une haie d’honneur en tenant, de main en
main, un long cordon de soie.
Il avait
ordonné que son épreuve s’offre à la vue de tous, dans la plus vaste salle du
palais que l’on appelait la Forêt du Liban, à l’écart dans les jardins.
D’ordinaire,
on y dansait et on y festoyait pour les cérémonies d’importance. Soixante fûts
de cèdre, chacun de vingt coudées de haut, s’alignaient en quatre rangs de
colonnades. La vue s’y perdait comme dans une forêt véritable. Les feuillages
sculptés qui recouvraient la voûte et en retenaient la lumière achevaient de
parfaire l’illusion.
Elle ne
feignit pas de s’en émerveiller. Pas plus que des trois cents boucliers d’or
dressés contre les murs, des petits bassins, des volières, des tapis, de la
vaisselle, des dessins du sol de marbre ou de la magnificence des sièges qui
les attendaient, elle et lui. Tout était une merveille de savoir-faire et de
matériaux précieux. Les serviteurs et les gardes, la foule de la cour, les
jaloux, les envieux, une quantité de femmes jeunes, tous étaient en grand
apparat.
Il voulait
encore l’impressionner. Telle était sa manière. Il était Salomon, qui en avait
impressionné tant avant elle.
Elle ne
doutait pas non plus qu’il espérait voir la rumeur de sa présence dans la
« Forêt de Liban » se colporter longtemps, s’écrire sur les rouleaux
de mémoire afin que jamais l’oubli ne les recouvre, elle et lui.
Elle
l’admettait.
N’était-ce
pas reconnaître qu’elle était digne de l’épreuve ? Digne de le faire
briller ? Elle, Makéda, fille de Bilqîs, reine de Saba.
Elle
portait une tunique qui ne dévoilait rien de son corps. Le lin de la pièce qui
couvrait son dos était aussi noir que sa peau. Sur le devant, au contraire, un
tissage délicat de fils d’or et de pourpre chatoyait à chacun de ses
mouvements. Sans ceinture, sans rien qui serrât la taille et soulignât les
seins.
Lui, qui
avait bâti un palais regorgeant d’illusions, allait devoir imaginer ce qui déjà
lui brûlait les yeux.
Le lourd
anneau d’or de Saba était sur son front, retenait les tresses qui battaient ses
reins. Et, sous l’anneau, le regard de la reine de Saba subjuguait.
La salle
se fit forêt silencieuse quand elle apparut. Œillades, chuchotements,
commentaires s’apaisèrent.
Il se
tenait déjà devant leurs sièges, sur une estrade de tapis et de coussins, sous
un dais tendu entre les fûts de cèdre. Lui aussi était vêtu simplement :
une tunique bleue aux manches très longues, la ceinture de cuir plus large
qu’une main, un collier à doubles rangs de gemmes et de glands d’or sur la
poitrine, la barbe et la chevelure enduites de baumes et de parfums.
Quand elle
fut près de lui, il dit pour que l’on entende à travers la forêt :
— La
reine de Saba est venue devant nous depuis l’autre côté de la mer Pourpre. Elle
est arrivée avec cent talents d’or et autant d’encens pour la richesse de Juda
et Israël. Avec cent jarres d’huile de myrrhe, avec le cinnaome et le nard.
Moi, Salomon fils de David, je dis : Makéda, fille d’Akébo, fille de
Bilqîs, se présente dans les jardins de mon palais comme un torrent
d’abondance. Elle connaît la langue de nos pères. Elle sait leur histoire. Elle
vient sur Jérusalem comme le vent du matin souffle sur nos ombres. Sa caravane
est à nos portes. Mais avant de déposer ses présents, elle veut s’assurer que
Salomon en est digne. Et moi, je dis que c’est justice. Je me plie à son
jugement devant le peuple de Jérusalem.
Et, devant
tous, il prit sa main. À elle, Makéda, la reine noire. Il la lui retourna,
paume face au ciel de cèdre. Il s’inclina encore et la porta contre son front.
Sa main
trembla. Elle éprouva le poids de sa tête comme si elle reposait entre ses
seins. Elle trouva son front brûlant.
Le silence
dès qu’ils s’assirent face à face. Elle dit :
— Tout-puissant
seigneur, on prétend que tu comprends ce qui est obscur et rends clair ce qui
est contourné.
Il
répondit avec un sourire :
— L’Eternel
parfois me donne des réponses.
— On
dit de toi que tu es le maître des oiseaux. Connais-tu cet oiseau qui n’a
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