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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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endormis
par magie au milieu d’une forêt en feu.
    Dans la basilique de Saint-Denis,
nécropole royale, la cour assistait à l’ensevelissement de Philippe le Bel.
Faisant face à la nouvelle tombe, toute la tribu capétienne, en vêtements
sombres et somptueux, se tenait alignée dans la nef centrale : princes du
sang, pairs laïcs, pairs ecclésiastiques, membres du Conseil étroit, grands
aumôniers, connétable, dignitaires [1] .
    Accompagné de cinq officiers de
l’hôtel, le souverain maître de la maison du roi s’avança d’un pas solennel au
bord du caveau où le cercueil était déjà descendu ; il jeta dans la fosse
le bâton sculpté qui était l’insigne de sa charge, et prononça la formule qui
marquait officiellement le passage d’un règne à l’autre :
    — Le roi est mort ! Vive
le roi !
    L’assistance aussitôt répéta :
    — Le roi est mort ! Vive
le roi !
    Et ce cri de cent poitrines,
répercuté de travée en travée, d’ogive en ogive, alla rouler longuement dans
les hauteurs des voûtes.
    Le prince aux yeux fuyants, aux
épaules étroites et à la poitrine creuse qui, en cette minute, devenait le roi
de France, éprouva une étrange sensation dans la nuque, comme si des étoiles
venaient d’y éclater. L’angoisse le saisit, au point qu’il craignit de tomber
en défaillance.
    À sa droite ses deux frères,
Philippe, comte de Poitiers, et Charles, qui n’avait pas encore d’apanage,
regardaient intensément la tombe.
    À sa gauche se tenaient ses deux
oncles, le comte de Valois et le comte d’Évreux, deux hommes de forte carrure.
Le premier avait franchi la quarantaine, le second en approchait.
    Le comte d’Évreux était assailli
d’images anciennes. « Il y a vingt-neuf ans, nous étions trois fils nous
aussi, à cette même place, devant la fosse de notre père… Et voilà maintenant
que le premier de nous s’en va. La vie est déjà passée. »
    Son regard se posa sur le gisant immédiatement
voisin, qui était celui du roi Philippe III. « Père, pria intensément
Louis d’Évreux, accueillez dans l’autre royaume mon frère Philippe, car il vous
a bien succédé. »
    Plus loin, se trouvaient la tombe de
Saint Louis et les lourdes effigies des grands ancêtres. De l’autre côté de la
nef, on apercevait les espaces vides qui s’ouvriraient un jour pour le jeune
homme, dixième à porter le nom de Louis, qui accédait au trône, et après lui,
règne après règne, pour tous les rois futurs. « Il y a de la place encore
pour beaucoup de siècles », pensa Louis d’Évreux.
    Monseigneur de Valois, les bras
croisés, le menton haut, observait toute chose et veillait à ce que la
cérémonie se déroulât comme elle devait.
    — Le roi est mort ! Vive
le roi !…
    Cinq fois encore, le cri retentit à
travers la basilique, à mesure que défilaient, jetant leur bâton de fonction,
les maîtres de l’hôtel. Le dernier bâton rebondit sur le cercueil, et le
silence tomba.
    Louis X fut pris à ce moment
d’un violent accès de toux qu’il ne put, quelque effort qu’il fit, dominer. Un
flux de sang lui vint aux joues, et il demeura une bonne minute secoué par sa
quinte, comme s’il allait cracher l’âme devant la tombe de son père.
    Les assistants se regardèrent ;
les mitres se penchèrent vers les mitres, et les couronnes vers les
couronnes ; il y eut des chuchotements d’inquiétude et de pitié. Chacun
pensait : « Et si celui-là aussi mourait dans quelques
semaines ? »
    Parmi les pairs laïcs, la puissante
comtesse Mahaut d’Artois, haute, large, couperosée, observait son neveu Robert,
dont les mâchoires émergeaient au-dessus de tous les fronts. Elle se demandait
pourquoi, la veille, il était arrivé à Notre-Dame, au beau milieu de l’office
funèbre, la barbe pas rasée et crotté jusqu’aux reins. D’où venait-il,
qu’était-il allé faire ? Dès que Robert apparaissait, il y avait de
l’intrigue dans l’air. Il semblait fort en cour, ces temps-ci, ce qui ne
laissait pas d’inquiéter Mahaut, elle-même tenue en défaveur depuis que ses
deux filles étaient enfermées, l’une à Dourdan, l’autre à Château-Gaillard.
    Entouré des légistes du Conseil,
Enguerrand de Marigny, coadjuteur du souverain qu’on enterrait, portait un
deuil de prince. Marigny était de ces rares hommes qui peuvent avoir la
certitude d’être entrés en leur vivant dans l’Histoire, parce qu’ils l’ont
faite. « Sire

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