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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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Philippe, mon roi… » songeait-il en s’adressant au
cercueil. « Tant de journées où nous avons travaillé côte à côte !
Nous pensions de même en toutes choses. Nous avons commis des erreurs, nous les
avons corrigées… Dans vos derniers jours, vous vous êtes un peu éloigné de moi,
parce que votre esprit était affaibli et que les envieux cherchaient à nous
séparer. Je vais être tout seul à l’ouvrage, maintenant. Je vous jure de bien
défendre ce que nous avons accompli ensemble. »
    Il fallait à Marigny se représenter
sa prodigieuse carrière, considérer d’où il était parti et où il était parvenu,
pour mesurer en cet instant sa puissance à la fois et sa solitude.
« L’œuvre de gouverner n’est jamais achevée », se disait-il. Il y
avait de la ferveur chez ce grand politique, et vraiment il pensait au royaume
comme un second roi.
    L’abbé de Saint-Denis, Egidius de
Chambly, à genoux au bord de la fosse, traça un dernier signe de croix, puis se
releva, et six moines poussèrent la lourde pierre plate qui devait fermer le
tombeau.
    Plus jamais Louis de Navarre, à
présent Louis X, n’entendrait la terrible voix de son père lui dire,
pendant les conseils :
    — Taisez-vous, Louis !
    Mais loin d’être délivré, il
éprouvait une faiblesse panique. Il sursauta, parce que l’on prononçait à côté
de lui :
    — Allez, Louis !
    C’était Charles de Valois qui
l’invitait à avancer. Louis X se tourna vers son oncle et murmura :
    — Vous l’avez vu devenir roi.
Qu’a-t-il fait ? Qu’a-t-il dit ?
    — Il a pris sa charge d’un
coup, répondit Charles de Valois.
    « Et il avait dix-huit ans…
sept ans de moins que moi », pensa Louis X. Tous les regards étaient
arrêtés sur lui. Il eut à fournir un effort pour marcher. À sa suite, la tribu
capétienne, princes, pairs, barons, prélats, dignitaires, entre les buissons de
cierges et les gisants des rois, traversa la sépulture de famille. Les moines
de Saint-Denis fermaient le cortège, les mains dans les manches et chantant un
psaume.
    On passa ainsi de la basilique dans
la salle capitulaire de l’abbaye où était servi le repas qui clôturait les
funérailles…
    — Sire, dit l’abbé Egidius,
nous ferons désormais deux prières, l’une pour le roi que Dieu nous a pris,
l’autre pour celui qu’il nous donne.
    — Je vous en remercie, mon
père, dit Louis X d’une voix mal assurée.
    Puis il s’assit avec un soupir de
lassitude et demanda aussitôt un gobelet d’eau qu’il vida d’un trait. Durant
tout le repas il resta silencieux. Il se sentait fiévreux, fourbu d’âme et de
corps.
    « Il faut être robuste pour
être roi », disait autrefois Philippe le Bel à ses fils, lorsque ceux-ci
rechignaient aux exercices équestres ou à l’apprentissage des armes. « Il
faut être robuste pour être roi », se répétait Louis X en ce premier
moment de son règne. Chez lui la fatigue engendrait l’irritation, et il pensait
avec humeur que celui qui héritait d’un trône eût bien dû hériter aussi la
force de s’y tenir droit.
    De fait, ce que le cérémonial
exigeait du souverain, pour son entrée en fonctions, était proprement
accablant.
    Louis, après avoir assisté à
l’agonie de son père, avait eu à prendre ses repas pendant deux jours auprès du
cadavre embaumé. En effet, le principe royal ne souffrant ni chevauchement ni
césure dans son incarnation, le roi mort était supposé régner jusqu’à son
ensevelissement, et son successeur, à côté de sa dépouille, mangeait en quelque
sorte pour lui, à sa place.
    Plus encore que la présence de la
grande forme cireuse, vidée de ses entrailles et revêtue des vêtements
d’apparat, avait été pénible pour Louis la vue du cœur de son père, placé près
de la couche funéraire dans un coffret de cristal et de bronze doré. Chacun qui
voyait ce cœur, les artères tranchées à ras, derrière la vitre, demeurait
stupéfait de sa petitesse ; « un cœur d’enfant… ou d’oiseau »,
murmuraient les visiteurs. Et l’on avait peine à croire qu’un si minuscule
viscère eût animé un si terrible monarque [2] .
    Puis s’était effectué le transport
du corps, par voie d’eau, de Fontainebleau à Paris ; puis, dans la
capitale même, s’étaient succédé chevauchées, veilles, offices religieux et
processions interminables, tout cela par un affreux temps d’hiver où l’on
pataugeait dans la boue

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