La Reine étranglée
glacée, où une mauvaise petite neige vous giflait le
visage.
Louis X enviait son oncle
Valois, qui, constamment à ses côtés, décidant de tout, tranchant des problèmes
de préséance, infatigable, volontaire, semblait, lui, avoir des nerfs de roi.
Déjà, parlant à l’abbé Égidius,
Valois commençait à s’inquiéter du sacre de Louis, qui prendrait place l’été
suivant. Car l’abbaye de Saint-Denis avait la garde non seulement des tombes
royales, non seulement de la bannière de France, mais aussi des vêtements et
attributs portés par les rois lors du couronnement. Valois tenait à savoir si
tout était en ordre. Le grand manteau, depuis vingt-neuf ans, n’avait-il pas
subi de dommages ? Les écrins, pour transporter à Reims le sceptre, les
éperons et la main de justice, étaient-ils en bon état ? Et la couronne
d’or ? Il faudrait que les orfèvres au plus tôt missent la coiffe à la
nouvelle mesure.
L’abbé Égidius observait le jeune
roi que la toux continuait de secouer, et pensait : « Certes, on va
tout préparer ; mais tiendra-t-il jusque-là ? »
Quand le repas fut achevé, Hugues de
Bouville, grand chambellan de Philippe le Bel, vint casser devant Louis X
son bâton doré, et signifier par là qu’il avait terminé son office. Le gros
Bouville avait les yeux emplis de larmes ; ses mains tremblaient, et il
dut s’y prendre à trois fois pour briser son sceptre de bois, image et délégation
du grand sceptre d’or. Puis au premier chambellan de Louis, Mathieu de Trye,
qui allait lui succéder dans la fonction, il murmura :
— À vous maintenant, messire.
Alors la tribu capétienne sortit de
table et se dirigea vers la cour où attendaient les montures.
Dehors, la foule était maigre, pour
crier : « Vive le roi ! » Les gens s’étaient assez gelés,
la veille, à regarder le grand cortège qui comprenait les troupes, le clergé de
Paris, les maîtres de l’Université, les corporations ; celui d’aujourd’hui
n’offrait plus rien qui pût émerveiller. Il tombait une sorte de grésil qui
perçait les vêtements jusqu’à la peau ; et seuls saluaient le nouveau roi
quelques acharnés de la badauderie, ou les riverains qui pouvaient crier du pas
de leur porte sans se mouiller.
Depuis l’enfance, le Hutin attendait
de régner. À chaque semonce, échec ou contrariété que lui attirait sa
médiocrité d’esprit et de caractère, il se disait rageusement : « Le
jour où je serai roi… » Et cent fois, il avait souhaité que le sort hâtât
la disparition de son père.
Or voilà que sonnait l’heure qui
l’exauçait ; voilà qu’il venait d’être proclamé. Il sortait de
Saint-Denis… Mais rien ne l’avertissait, intérieurement, qu’aucun changement se
fût produit en lui. Il se sentait seulement plus faible que la veille, et
pensait davantage à ce père qu’il avait si peu aimé.
La tête basse, les épaules
frissonnantes, il poussait son cheval entre les champs déserts où des restes de
chaume perçaient des restes de neige. Le crépuscule s’assombrissait rapidement.
À la porte de Paris, le cortège fit halte pour permettre aux archers d’escorte
d’allumer des torches.
Le peuple de la capitale ne fut
guère plus enthousiaste que celui de Saint-Denis. Quelles raisons d’ailleurs
aurait-il eues de se montrer joyeux ? L’hiver précoce entravait les
transports et multipliait les décès. Les dernières récoltes avaient été
mauvaises ; les denrées enchérissaient à mesure qu’elles se
raréfiaient ; il y avait de la disette dans l’air. Et le peu qu’on
connaissait du nouveau roi n’incitait pas à l’espoir.
On le disait brouillon, querelleur
et cruel ; et le public, qui déjà le désignait par son surnom, ne pouvait
citer de lui aucun acte important ou généreux. Sa seule renommée lui venait de
son infortune conjugale.
« C’est à cause de cela que le
peuple ne me témoigne point d’affection, se disait Louis X ; à cause
de cette catin qui m’a bafoué devant tous… Mais s’ils ne veulent point m’aimer,
je ferai tant qu’ils trembleront et crieront Noël en me voyant comme s’ils
m’aimaient bien fort. Et d’abord je veux reprendre épouse, avoir une reine à
côté de moi… pour que mon déshonneur soit effacé. »
Hélas ! Le rapport que lui
avait fait la veille son cousin Robert d’Artois, retour de Château-Gaillard, ne
laissait pas paraître l’entreprise aisée. « La garce
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