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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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cédera ; je la
ferai mettre à tels régimes et tourments qu’elle cédera ! »
    Comme il s’était dit dans le petit
peuple que le roi jetterait des pièces de monnaie sur son passage, des groupes
de pauvres se tenaient au coin des rues. Les torches des archers éclairaient un
instant leurs visages maigres, leurs yeux avides et leurs mains tendues. Mais
aucune piécette ne tomba.
    Par le Châtelet et le Pont au Change
le cortège atteignit ainsi le palais de la Cité.
    La comtesse Mahaut donna le signal
de la dispersion en déclarant que chacun avait maintenant besoin de chaleur et
de repos, et qu’elle rentrait à l’hôtel d’Artois. Prélats et barons prirent
chacun le chemin de sa demeure. Les frères du nouveau roi eux-mêmes se
retirèrent. Si bien que lorsqu’il eut mis pied à terre, Louis X ne se
trouva plus entouré, en dehors de ses serviteurs et écuyers personnels, que par
ses deux oncles Évreux et Valois, Robert d’Artois, Marigny et Mathieu de Trye.
    Ils passèrent par la Galerie
mercière, immense et presque déserte à cette heure. Quelques marchands, qui
finissaient de cadenasser leurs éventaires, ôtèrent leur bonnet.
    Le Hutin avançait lentement, les
jambes raides dans des bottes trop lourdes, le corps chaud de fièvre. Il
regardait, à sa droite, à sa gauche, les quarante statues de rois, haut placées
sur de larges consoles sculptées, et que Philippe le Bel avait choisi de
dresser là, dans le vestibule de l’habitation royale, telles des répliques
debout des gisants de Saint-Denis, afin que le souverain vivant apparût à chaque
visiteur comme le continuateur d’une race sacrée, désignée par Dieu pour
exercer le pouvoir.
    Cette colossale famille de pierre,
aux yeux blancs sous la lueur des torches, ne faisait qu’accabler davantage le
pauvre prince de chair qui en recueillait la succession.
    Un mercier dit à sa femme :
    — Il n’a pas bien fière mine,
notre nouveau roi.
    La marchande, en ricanant,
répondit :
    — Il a surtout une bonne mine
de cocu.
    Elle n’avait pas parlé fort, mais sa
voix aiguë résonna dans le silence. Le Hutin tressaillit, la face brusquement
coléreuse, cherchant à distinguer l’auteur de l’insulte. Chacun, dans
l’escorte, détournait les yeux et feignait de n’avoir pas entendu.
    De part et d’autre de l’arc en
accolade qui surmontait l’accès à l’escalier principal, se faisaient pendant
les statues de Philippe le Bel et d’Enguerrand de Marigny ; car le
coadjuteur connaissait cet honneur unique d’avoir son effigie dans la galerie
des rois. Honneur justifié au demeurant par le fait que la reconstitution et
l’embellissement du Palais étaient essentiellement son œuvre.
    Or la statue d’Enguerrand irritait
plus que tout Charles de Valois qui, chaque fois qu’il avait à passer devant,
s’indignait de ce qu’on eût élevé jusque-là ce bourgeois. « L’astuce et
l’intrigue l’ont conduit à tant d’impudence qu’il se donne des airs d’être de
notre sang. Mais tout beau, messire, pensait Valois : nous vous
descendrons de ce socle, j’en fais serment, et nous vous apprendrons bien vite
que le temps de vos mauvaises grandeurs est passé. »
    — Messire Enguerrand, dit-il
avec hauteur à son ennemi, je pense que le roi désire à présent demeurer en
famille.
    Marigny, afin d’éviter un éclat, ne
fit pas montre d’avoir senti le trait. Mais voulant bien signifier, en
revanche, qu’il ne prendrait ses ordres que du roi, il dit, s’adressant à ce
dernier :
    — Sire, maintes affaires sont
pendantes qui me requièrent. Puis-je me retirer ?
    Louis avait la pensée
ailleurs ; le mot lancé par la mercière lui tournait en tête.
    — Faites, messire, faites,
répondit-il avec impatience.
     

V

LE ROI, SES ONCLES ET LES DESTINS
    La mère de Louis X, la reine
Jeanne, héritière de la Navarre, était morte en 1305. À partir de 1307,
c’est-à-dire du moment où, âgé de dix-huit ans, il avait été investi
officiellement de la couronne navarraise, Louis avait reçu l’hôtel de Nesle
pour résidence personnelle. Jamais donc il n’avait habité le Palais depuis les
rénovations ordonnées par son père, dans les récentes années.
    Aussi, ce soir de décembre, au
retour du Saint-Denis, Louis, entrant dans les appartements royaux pour en
prendre possession, n’y trouvait rien qui lui rappelât son enfance. Aucune
cassure du pavement, connue de toujours, aucun grincement particulier à

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