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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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queues d’hermine qui lui ornaient
les épaules et la taille.
    — Je déclare devant vous,
messire, ce que chacun prononce dans votre dos, à savoir que les Flamands vous
ont acheté le retrait de nos bannières, et que vous avez ensaché pour vous des
sommes qui eussent dû revenir au Trésor.
    Les mâchoires contractées, son
visage grumeleux blanchi par la colère, et les yeux regardant comme au-delà des
murs, Marigny ressemblait à sa statue de la Galerie mercière.
    — Sire, dit-il, j’ai entendu
aujourd’hui plus qu’un homme d’honneur ne saurait entendre en toute sa vie. Je
ne tiens mes biens que des bontés du roi votre père, dont je fus en toutes
choses le serviteur et le second pendant seize années. Je viens d’être devant
vous accusé de détournement, et de commerce avec les ennemis du royaume.
Puisque nulle voix ici, et la vôtre avant toutes, Sire, ne s’élève pour me
défendre contre pareille vilenie, je vous demande de nommer commission afin de
faire vérifier mes comptes, desquels je suis responsable devant vous, et devant
vous seul.
    Les princes médiocres ne tolèrent
qu’un entourage de flatteurs qui leur dissimulent leur médiocrité. L’attitude
de Marigny, son ton, sa présence même, rappelaient trop évidemment au jeune roi
qu’il était inférieur à son père.
    S’emportant lui aussi, Louis X
s’écria :
    — Soit ! Cette commission
sera nommée, messire, puisque c’est vous-même qui le demandez.
    Par cette parole, il se séparait du
seul homme capable de gouverner à sa place et de diriger son règne. La France
allait payer pendant de longues années ce mouvement d’humeur.
    Marigny ramassa son sac à documents,
le remplit, et se dirigea vers la porte. Son geste irrita un peu plus le Hutin,
qui lui lança :
    — Et jusque-là, vous voudrez
bien ne plus avoir affaire avec notre Trésor.
    — Je m’en garderai bien, Sire,
dit Marigny depuis le seuil.
    Et l’on entendit ses pas décroître
dans l’antichambre.
    Valois triomphait, presque surpris
de la rapidité de cette exécution.
    — Vous avez eu tort, mon frère,
lui dit le comte d’Évreux ; on ne force point un tel homme, et de telle
sorte.
    — J’ai eu grand-raison, mon
frère, répliqua Valois, et bientôt vous m’en saurez gré. Ce Marigny est un mal
sur le visage du royaume, qu’il fallait se hâter de faire crever.
    — Mon oncle, demanda
Louis X revenant impatiemment à son seul souci, quand mettrez-vous en
chemin notre ambassade auprès de la cour de Naples ?
    Aussitôt que Valois lui eut promis
que Bouville partirait dans la semaine, il leva le conseil. Il était mécontent
de tout et de tous, parce qu’en vérité, il était mécontent de lui-même.
     

II

ENGUERRAND DE MARIGNY
    Précédé comme à l’ordinaire de deux
sergents massiers portant bâton à fleur de lis, escorté de secrétaires et
d’écuyers, Enguerrand de Marigny, regagnant sa demeure, étouffait de fureur.
« Ce coquin, ce brochet, m’accuser de trafiquer des traités ! Le
reproche est pour le moins plaisant venant de lui, qui a passé sa vie à se
vendre au plus offrant… Et ce petit roi qui a de la cervelle comme une mouche
et de la hargne comme une guêpe, n’a pas dit un mot à mon adresse, sinon pour
m’ôter la gestion du Trésor ! »
    Il marchait sans rien voir des rues
ni des gens. Il gouvernait les hommes de si haut depuis si longtemps qu’il avait
perdu l’habitude de les regarder. Les Parisiens s’écartaient devant lui,
s’inclinaient, lui tiraient de grands coups de bonnet, et puis le suivaient des
yeux en échangeant quelque remarque amère. Il n’était pas aimé, ou ne l’était
plus.
    Parvenu à son hôtel de la rue des
Fossés-Saint-Germain, il traversa la cour d’un pas pressé, jeta son manteau au
premier bras qui se tendait et, toujours tenant son sac à documents, gravit
l’escalier tournant.
    Gros coffres, gros chandeliers,
tapis épais, lourdes tentures, l’hôtel n’était meublé que de choses solides et
faites pour durer. Une armée de valets y veillait au service du maître, et une
armée de clercs y travaillait au service du royaume.
    Enguerrand poussa la porte de la
pièce où il savait trouver sa femme. Celle-ci brodait au coin du feu ; sa
sœur, madame de Chanteloup, une veuve bavarde, était auprès d’elle. Deux
levrettes d’Italie, naines et frileuses, sautillaient à leurs pieds.
    Au visage que montrait son mari,
madame de Marigny aussitôt

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