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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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s’inquiéta.
    — Bon ami, que s’est-il
produit ? demanda-t-elle.
    Alips de Marigny, née de Mons,
vivait depuis bientôt cinq ans dans l’admiration de l’homme qui l’avait
épousée, en secondes noces, et brûlait pour lui d’un dévouement constant et
passionné.
    — Il se produit, répondit
Marigny, que, maintenant que le roi Philippe n’est plus là pour les tenir sous
le fouet, les chiens se sont lancés après moi.
    — Puis-je vous aider d’aucune
sorte ?
    Il la remercia, mais si durement,
ajoutant qu’il savait assez bien se conduire seul, que les larmes vinrent aux
yeux de la jeune femme. Enguerrand alors se pencha pour la baiser au front, et
murmura :
    — Je ne méconnais point, Alips,
que je n’ai que vous pour m’aimer !
    Puis il passa dans son cabinet de
travail, jeta son sac à documents sur un coffre. Il marcha un moment d’une
fenêtre à l’autre, pour donner à sa raison le temps de prendre le pas sur sa
colère. « Vous m’avez ôté le Trésor, jeune Sire, mais vous avez omis le
reste. Attendez donc ; vous ne me briserez pas si aisément. »
    Il agita une clochette.
    — Quatre sergents, promptement,
dit-il à l’huissier qui se présenta. Les sergents demandés montèrent de la
salle des gardes. Marigny leur distribua les ordres :
    — Toi, va quérir messire Alain
de Pareilles, au Louvre. Toi, va quérir mon frère l’archevêque, qui doit ce
jour être au palais épiscopal. Toi, messires Dubois et Raoul de Presles ;
toi, messire Le Loquetier. S’ils ne sont point en leurs hôtels, affairez-vous à
les rembûcher. Et dites à tous que je les attends céans.
    Les quatre hommes partis, il écarta
une tenture et ouvrit la porte de communication avec la chambre des secrétaires
privés.
    — Quelqu’un pour la dictée.
    Un clerc arriva, portant pupitre et
plumes.
    Marigny, le dos au feu,
commença :
    — « À très puissant, très
aimé et très redouté Sire, le roi Edouard d’Angleterre, duc d’Aquitaine… Sire,
en l’état que me trouve le retour à Dieu de mon seigneur, maître et suzerain,
le très pleuré roi Philippe et le plus grand que le royaume ait connu, je me
tourne devers vous pour vous instruire de choses qui regardent le bien des deux
nations…»
    Il s’interrompit pour agiter à
nouveau la clochette. L’huissier reparut. Marigny lui commanda de faire
chercher Louis de Marigny, son fils. Puis il continua sa lettre.
    Depuis 1308, date du mariage
d’Isabelle de France avec Edouard II d’Angleterre, Marigny avait eu
l’occasion de rendre à ce dernier maints services politiques ou personnels.
    La situation, dans le duché
d’Aquitaine, était toujours difficile et tendue, de par le statut singulier de
cet immense fief français tenu par un souverain étranger. Cent ans et plus de
guerre, de disputes incessantes, de traités contestés ou reniés, y avaient
laissé leurs séquelles. Quand les vassaux guyennais, selon leurs intérêts et
leurs rivalités, s’adressaient à l’un ou l’autre des souverains, Marigny,
toujours, s’appliquait à éviter les conflits. D’autre part, Edouard et Isabelle
ne formaient guère un ménage harmonieux. Quand Isabelle se plaignait des mœurs
anormales de son mari et lui reprochait des favoris avec lesquels elle vivait
en lutte déclarée, Marigny prêchait le calme et la patience pour le bien des
royaumes. Enfin la trésorerie d’Angleterre connaissait des difficultés
fréquentes. Quand Edouard se trouvait trop à court de monnaie, Marigny
s’arrangeait pour lui faire consentir un prêt.
    En remerciement de tant
d’interventions, Edouard, l’année précédente, avait gratifié le coadjuteur
d’une pension à vie de mille livres [7] .
    Aujourd’hui, c’était au tour de
Marigny d’en appeler au roi anglais et de lui demander soutien. Il importait
aux bonnes relations entre les deux royaumes que les affaires de France ne
changeassent point de direction.
    — «… Il y va, Sire, plus que de
ma faveur ou de ma fortune ; vous saurez voir qu’il y va de la paix des
empires, pour laquelle je suis et je serai toujours votre très fidèle
servant. »
    Il se fit relire la lettre, y
apporta quelques corrections.
    — Recopiez, et présentez-moi à
signer.
    — Cela doit-il partir aux
chevaucheurs, Monseigneur ? demanda le secrétaire.
    — Non point. Et je scellerai de
mon petit sceau.
    Le secrétaire sortit. Marigny
dégrafa le haut de sa robe ; l’action lui faisait gonfler le

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