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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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cou.
    « Pauvre royaume, pensait-il.
En quelle brouille et misère vont-ils le mettre, si je ne m’y oppose !
N’aurai-je donc autant fait que pour voir mes efforts ruinés ? »
    Les hommes qui pendant un temps très
long ont exercé le pouvoir finissent par s’identifier à leur charge et par
considérer toute atteinte faite à leur personne comme une atteinte directe aux
intérêts de l’État. Marigny en était à ce point, et donc prêt, sans nullement
s’en rendre compte, à agir contre le royaume, dès l’instant qu’on lui limitait
la faculté de le diriger.
    Ce fut dans cette disposition qu’il
accueillit son frère l’archevêque.
    Jean de Marigny, long et serré dans
son manteau violet, avait une attitude constamment étudiée que n’aimait pas le
coadjuteur. Enguerrand avait envie de dire à son cadet : « Prends
cette mine pour tes chanoines, si cela te plaît, mais non pas devant moi qui
t’ai vu baver ta soupe et te moucher dans tes doigts. »
    En dix phrases il lui raconta le
conseil dont il sortait et lui communiqua ses directives, du même ton sans
réplique qu’il avait pour parler à ses commis.
    — Je ne désire point de pape
pour l’instant, car aussi longtemps qu’il n’y a point de pape, ce méchant petit
roi est dans ma main. Donc pas de cardinaux bien rassemblés et prêts à entendre
Bouville quand celui-ci reviendra de Naples. Pas de paix en Avignon. Qu’on s’y
dispute, qu’on s’y déchire. Vous ferez ce qu’il convient, mon frère, pour qu’il
en soit ainsi.
    Jean de Marigny, qui avait commencé
par se montrer tout indigné de ce que lui rapportait Enguerrand, se rembrunit
aussitôt qu’il fut question du conclave. Il réfléchit un moment, contemplant
son anneau pastoral.
    — Alors, mon frère ? J’attends
votre acquiescement, dit Enguerrand.
    — Mon frère, vous savez que je
ne veux que vous servir en tout ; et je pense que je pourrais mieux le
faire encore si je deviens quelque jour cardinal. Or, à semer dans le conclave
plus de discorde qu’il n’en pousse déjà, je risque fort de m’aliéner l’amitié
de tel ou tel papable, Francesco Caëtani par exemple, qui, s’il se trouvait
plus tard élu, me refuserait alors le chapeau…
    Enguerrand éclata.
    — Votre chapeau ! Voilà
bien l’heure d’en parler ! Votre chapeau, si jamais vous devez l’avoir,
mon pauvre Jean, c’est moi qui vous en coifferai comme je vous ai déjà tissé
votre mitre. Mais si de sots calculs vous font ménager mes adversaires, comme
ce Caëtani, je vous dis que bientôt vous irez, non seulement sans chapeau, mais
sans souliers, en misérable moine qu’on reléguera dans quelque couvent. Vous
oubliez trop vite, Jean, ce que vous me devez, et de quel mauvais pas encore je
vous ai tiré, voici deux mois à peine, pour ce trafic que vous aviez fait des
biens du Temple. À ce propos, ajouta-t-il…
    Son regard devint plus étincelant,
plus aigu, sous ses sourcils épais.
    — … à ce propos, avez-vous
bien pu détruire les preuves laissées imprudemment par vous au banquier
Tolomei, et dont les Lombards se sont servis pour me faire plier ?
    L’archevêque eut un hochement de
tête qui pouvait être interprété comme une affirmation ; mais aussitôt il
se montra plus docile, et pria son frère de lui préciser ses instructions.
    — Envoyez en Avignon, reprit
Enguerrand, deux émissaires, hommes d’Église d’une sûreté absolue, je veux dire
des gens à votre merci. Faites-les se promener à Carpentras, à Châteauneuf, à
Orange, partout où les cardinaux sont éparpillés, et répandre avec autorité,
comme venant de la cour de France, des assurances tout à fait opposées. L’un
annoncera aux cardinaux français que le nouveau roi permettrait le retour ou
Saint-Siège à Rome ; l’autre dira aux Italiens que nous inclinons à
établir la papauté plus près encore de Paris, pour qu’elle soit mieux sous
notre dépendance. Ce qui n’est rien que vérité, après tout, et des deux parts,
puisque le roi est incapable de juger de ces choses, que Valois veut le pape à
Rome et que je le veux en France. Le roi n’a en tête que l’annulation de son
mariage et ne voit pas plus loin. Il l’obtiendra, mais seulement à l’heure que
je le voudrai, et d’un pontife à ma convenance… Pour l’instant donc, retardons
l’élection. Veillez à ce que vos deux envoyés n’aient pas de lien entre
eux ; il serait même souhaitable qu’ils ne se

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