La Reine étranglée
connussent point.
Sur ces paroles, il congédia son
frère pour recevoir son fils Louis, qui attendait dans l’antichambre. Mais
quand le jeune homme fut entré, Marigny resta un moment silencieux. Il pensait
tristement, amèrement : « Jean me trahira dès qu’il y croira trouver
son profit…»
Louis de Marigny était un petit
garçon mince, de belle tournure, et qui s’habillait avec recherche. Il
ressemblait assez, pour les traits de figure, à l’archevêque son oncle.
Fils d’un personnage devant qui le
royaume entier s’inclinait, et de plus filleul du nouveau roi, le jeune Marigny
ne connaissait ni la lutte ni l’effort. S’il faisait montre, certes,
d’admiration et de respect pour son père, il souffrait en secret de l’autorité
brutale de celui-ci et de ses rudes manières qui disaient l’homme parvenu par
l’action. Pour un peu, il aurait reproché à son père de n’être pas assez bien
né.
— Louis, équipez-vous, dit
Enguerrand ; vous partez tout à l’heure pour Londres délivrer une lettre.
Le visage du jeune homme se
rembrunit.
— Cela ne saurait-il attendre
après-demain, mon père, ou bien n’avez-vous personne qui me puisse
remplacer ? Je dois chasser demain dans le bois de Boulogne… petite chasse
parce que c’est deuil, mais…
— Chasser ! Vous ne pensez
donc qu’à chasser ! s’écria Marigny. Ne demanderai-je jamais la moindre
aide aux miens, pour qui je fais tout, sans qu’ils commencent par
rechigner ? Apprenez que c’est moi que l’on chasse, présentement, pour
m’arracher la peau, et la vôtre avec… S’il me suffisait d’un quelconque
chevaucheur, j’y aurais songé tout seul ! C’est au roi d’Angleterre que je
vous envoie, afin que ma lettre lui soit remise de main à main, et qu’il
n’aille pas en circuler copies que le vent pourrait rabattre par ici. Le roi
d’Angleterre ! Cela flatte-t-il assez votre orgueil pour que vous
renonciez à une chasse ?
— Pardonnez-moi, mon père, dit
Louis de Marigny ; je vous obéirai.
— En donnant ma lettre au roi
Edouard, auquel vous rappellerez qu’il vous a distingué l’autre année, à
Maubuisson, vous ajouterez ceci, que je n’ai point écrit, à savoir que Charles
de Valois intrigue pour remarier le nouveau roi à une princesse de Naples, ce
qui tournerait nos alliances vers le Sud plutôt que vers le Nord. Voilà. Vous
m’avez entendu. Et si le roi Edouard vous demande ce qu’il peut faire dans mon
sens, dites-lui qu’il m’aiderait bien en me recommandant fortement au roi
Louis, son beau-frère… Prenez les écuyers et sommeliers qu’il vous faut ;
mais n’ayez pas trop grand train de prince. Et faites-vous bailler cent livres
par mon trésorier.
Quelques coups furent frappés à la
porte.
— Messire de Pareilles est
arrivé, dit l’huissier.
— Qu’il vienne… Adieu, Louis.
Mon secrétaire vous portera la lettre. Que le Seigneur veille sur votre chemin.
Enguerrand de Marigny étreignit son
fils, geste dont il n’était pas coutumier. Puis il se tourna vers Alain de
Pareilles qui entrait, l’empoigna par le bras, et lui montrant un siège devant
la cheminée, lui dit :
— Chauffe-toi, Pareilles.
Le capitaine général des archers
avait des cheveux couleur d’acier, un visage durement marqué par le temps et la
guerre, et ses yeux avaient tant vu de combats, de coups de force, d’émeutes,
de tortures, d’exécutions qu’ils ne pouvaient plus s’étonner de rien. Les
pendus de Montfaucon lui étaient spectacle habituel. Dans la seule année en
cours, il avait conduit le grand-maître des Templiers au bûcher, conduit les
frères d’Aunay à la roue, conduit les princesses royales en prison.
Il commandait au corps des archers,
aux sergents d’armes de toutes les forteresses ; le maintien de l’ordre
dans le royaume était son affaire, ainsi que l’application des arrêts de
justice répressive ou criminelle. Marigny, qui ne tutoyait aucun membre de sa
famille, tutoyait ce vieux compagnon, instrument exact, sans défaut ni
faiblesse, du pouvoir d’État.
— Deux missions pour toi,
Pareilles, dit Marigny, et qui relèvent toutes deux de l’inspection des
forteresses. D’abord, je te demande de te rendre à Château-Gaillard afin de
secouer l’âne qui en est gardien… Comment se nomme-t-il, déjà ?
— Bersumée, Robert Bersumée.
— Tu diras donc à ce Bersumée
qu’il se conforme mieux aux instructions reçues. J’ai su
Weitere Kostenlose Bücher