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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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que Robert d’Artois
était là-bas, et qu’il avait eu accès auprès de Madame de Bourgogne. C’est en
contrevenant aux ordres. La reine, pour autant qu’on puisse la dire telle, est
condamnée au mur, c’est-à-dire au secret. Aucun sauf-conduit ne vaut pour
l’approcher s’il ne porte mon sceau, ou le tien. Seul le roi peut aller la
visiter ; je vois petite chance que telle envie le prenne. Donc, ni ambassade,
ni message. Et que l’âne sache bien que je lui fendrai les oreilles s’il
n’obéit point.
    — Que souhaites-tu,
Monseigneur, qu’il advienne de Madame Marguerite ? interrogea Pareilles.
    — Rien. Qu’elle vive. Elle me
sert d’otage et je la veux garder. Qu’on veille bien à sa sûreté. Qu’on
adoucisse au besoin sa chère et son logis, s’ils devaient nuire à sa santé…
Deuxièmement : aussitôt que revenu de Château-Gaillard, tu piqueras sur le
Midi, avec trois compagnies d’archers que tu iras installer dans le fort de
Villeneuve, pour y renforcer notre garnison en face d’Avignon. Je te prie de
bien montrer ton arrivée et de faire défiler tes archers six fois de suite
devant la forteresse, de sorte que de l’autre rive on puisse croire qu’ils sont
deux mille à y pénétrer. C’est aux cardinaux que je destine cette parade de
guerre, pour compléter le tour que je leur monte d’autre part. Cela fait, tu
reviens au plus tôt ; ton service peut m’être grandement nécessaire ces
temps-ci…
    — … où l’air qui souffle à
l’environ ne nous plaît guère, n’est-ce pas, Monseigneur ?
    — Certes non… Adieu, Pareilles.
Je dicterai tes instructions.
    Marigny était plus calme. Les
diverses pièces de son jeu commençaient à se disposer. Resté seul, il réfléchit
un moment. Puis il entra dans la chambre des secrétaires. Des stalles de chêne
sculpté couvraient les murs à mi-hauteur, ainsi que dans le chœur d’une église.
Chaque stalle était équipée d’une tablette à écrire où pendaient des poids qui
maintenaient les parchemins tendus, et de cornes fixées aux accoudoirs pour
contenir les encres. Des lutrins tournants, à quatre faces, soutenaient
registres et documents. Quinze clercs travaillaient là, en silence. Marigny au
passage parapha et scella la lettre au roi Edouard ; et il gagna la salle
suivante où les légistes qu’il avait mandés se trouvaient réunis, et d’autres
avec eux, tels Bourdenai et Briançon, venus de leur propre chef aux nouvelles.
    — Messires, leur dit
Enguerrand, on ne vous a pas fait l’honneur de vous convier au conseil de ce
matin. Aussi allons-nous tenir entre nous un conseil fort étroit.
    — Il n’y manquera que notre
Sire le roi Philippe, dit Raoul de Presles avec un sourire triste.
    — Prions pour que son âme nous
assiste, dit Geoffroy de Briançon.
    Et Nicole Le Loquetier ajouta :
    — Lui ne doutait pas de nous.
    — Siégeons, messires, dit
Marigny.
    Et quand chacun fut assis :
    — Il me faut d’abord vous
apprendre que la gestion du Trésor vient de m’être ôtée, et que le roi va
commettre à viser les comptes. L’offense vous atteint en même temps que moi.
Gardez-vous, messires, de vous indigner ; nous avons mieux à nous
employer. Car je désire présenter des comptes bien nets. Pour ce faire…
    Il prit un temps, et se renversa un
peu sur son siège.
    — … pour ce faire,
répéta-t-il, vous voudrez donner ordre à tous prévôts et receveurs de finances,
en tous bailliages et sénéchaussées, de payer tout ce qu’on doit, sur-le-champ.
Qu’on règle les fournitures, les travaux en cours, et tout ce qui a été
commandé par la Couronne, sans omettre ce qui regarde la maison de Navarre.
Qu’on paie partout, jusqu’à épuisement de l’or, et même ce qui pouvait souffrir
délai. Et pour le solde, on fera l’état des dettes.
    Les légistes regardèrent Marigny, se
regardèrent entre eux. Ils avaient compris ; et quelques-uns ne purent
s’empêcher de sourire. Marigny fit craquer ses phalanges, comme s’il cassait
des noix.
    — Monseigneur de Valois veut
s’assurer mainmise sur le Trésor ? acheva-t-il. Eh bien ! Il se
retournera les ongles à le racler, et il lui faudra chercher ailleurs la
monnaie de ses intrigues !
     

III

L’HÔTEL DE VALOIS
    Or le rude affairement qui régnait
rive gauche en l’hôtel de Marigny n’était que petite agitation en regard de ce
qui se passait, rive droite, à l’hôtel de Valois. Là, on chantait victoire,

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