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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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on
criait triomphe, et l’on eût, pour un peu, mis les pavois aux fenêtres.
    « Marigny n’a plus le
Trésor ! » La nouvelle, d’abord chuchotée, maintenant se clamait.
Chacun savait, et voulait montrer qu’il savait ; chacun commentait, chacun
supputait, chacun prédisait, et cela tissait toute une rumeur de vantardises,
de conciliabules, de flatteries quémandeuses. Le moindre bachelier prenait une
autorité de connétable pour rabrouer les valets. Les femmes commandaient avec
plus d’exigence, les enfants glapissaient avec plus d’énergie. Les chambellans,
jouant l’importance, se transmettaient gravement de futiles consignes, et il
n’était jusqu’au dernier clerc aux écritures qui ne voulût se donner la mine
d’un dignitaire.
    Les dames de parage caquetaient
autour de la comtesse de Valois, haute, sèche, altière. Le chanoine Étienne de
Mornay, chancelier du comte, passait comme un navire entre des vagues de nuques
plongeant avec respect. Toute une clientèle effervescente, cauteleuse, entrait,
sortait, se tenait dans l’embrasure des fenêtres, donnait son avis sur les
affaires publiques. L’odeur du pouvoir s’était répandue dans Paris, et chacun
s’empressait à la flairer du plus près.
    Il en fut ainsi pendant une entière
semaine. On venait, feignant d’avoir été appelé et par espoir de l’être, car Monseigneur
de Valois, enfermé dans son cabinet, consultait beaucoup. On vit même
apparaître, fantôme de l’autre siècle, que soutenait un écuyer à barbe blanche,
le vieux sire de Joinville, croulant et aminci par l’âge. Le sénéchal
héréditaire de Champagne, compagnon de Saint Louis durant la croisade de 1248,
et qui s’était institué son thuriféraire, avait quatre-vingt-onze ans. À demi
aveugle, la paupière mouillée et l’entendement diminué, il apportait au comte
de Valois la caution de l’ancienne chevalerie et de la société féodale.
    Le parti baronnial, pour la première
fois depuis trente ans, l’emportait ; et l’on eût dit, devant la grande
bousculade de ceux qui se hâtaient de le rallier, que la vraie cour ne se
tenait pas au palais de la Cité, mais à l’hôtel de Valois.
    Demeure de roi, d’ailleurs. Nulle
poutre aux plafonds qui ne fût sculptée, nulle cheminée dont la hotte
monumentale ne s’ornât des écus de France, d’Anjou, du Valois, du Perche, du
Maine ou de Romagne, et même des armes d’Aragon ou des emblèmes impériaux de
Constantinople, puisque Charles de Valois avait, fugitivement et nominalement,
porté tour à tour la couronne aragonaise et celle de l’Empire latin d’Orient.
Partout les pavements disparaissaient sous les laines de Smyrne, et les murs
sous les tapis de Chypre. Les crédences, les dressoirs soutenaient un
étincellement d’orfèvrerie, d’émaux, de vermeil ciselé.
    Mais cette façade d’opulence et de
prestige cachait une lèpre, le mal d’argent. Toutes ces merveilles étaient aux
trois quarts engagées pour couvrir la fabuleuse dépense qui se faisait en cette
maison. Valois aimait paraître. À moins de soixante convives, sa table lui
semblait vide ; et à moins de vingt plats par service, il se croyait
réduit à menu de pénitence. Comme il en allait à ses yeux des honneurs et des
titres, il en allait des bijoux, des vêtements, des chevaux, des meubles, des
vaisselles ; il lui fallait trop de tout pour lui donner le sentiment
d’avoir assez.
    Chacun autour de lui profitait de ce
faste. Mahaut de Châtillon, la troisième Madame de Valois, s’entendait à
accumuler robes et parures, et il n’était princesse en France qui se montrât
pareillement cousue de perles et de gemmes. Philippe de Valois, le fils aîné,
dont la mère était Anjou-Sicile, aimait les armures padouanes, les bottes de
Cordoue, les lances en bois du Nord, les épées d’Allemagne.
    Jamais négociant, s’il venait offrir
un objet rare ou somptueux, et s’il avait l’habileté de laisser entendre que
quelque autre seigneur en pourrait devenir acquéreur, ne remportait sa
marchandise.
    Les brodeuses attachées à l’hôtel,
et celles qu’on employait en ville, ne suffisaient pas à fournir les cottes
d’armes, les oriflammes, les tapis de selle, les caparaçons, les robes de
Monseigneur, les surcots de Madame.
    Le bouteiller volait sur les vins,
les écuyers volaient sur le fourrage, les chambellans volaient sur la chandelle
et le saucier grattait sur les épices. Comme on pillait à la lingerie,

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