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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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on
gaspillait aux cuisines. Et ce n’était là que le train courant.
    Car le comte de Valois devait faire
face à d’autres nécessités.
    Géniteur prolifique, il avait
d’innombrables filles qui lui étaient nées de ses trois lits. Chaque fois qu’il
en mariait une, Charles se voyait contraint de s’endetter davantage afin que
dot et fêtes d’épousailles fussent à la mesure des trônes autour desquels il
prenait ses gendres. Sa fortune fondait dans ce réseau d’alliances.
    Certes, il possédait d’immenses
domaines, les plus grands après ceux du roi. Mais les revenus qu’il en tirait
ne couvraient plus qu’à peine les intérêts des emprunts. Les prêteurs, de mois
en mois, se faisaient plus difficiles. S’il avait connu moins d’urgence à
restaurer son crédit, Monseigneur de Valois eût montré moins de hâte à se
saisir des affaires du royaume.
    Mais certains combats laissent le
vainqueur plus embarrassé que le vaincu. Prenant en main le Trésor, Valois
n’empoignait que du vent. Les envoyés qu’il dépêchait dans les bailliages et
prévôtés, afin d’y récolter quelques fonds, s’en revenaient la mine piteuse.
Tous avaient été précédés par les envoyés de Marigny ; et il ne restait
plus un denier aux coffres des prévôts, lesquels avaient soldé les créances
autant qu’ils le pouvaient, afin de présenter « des comptes bien
nets ».
    Et tandis qu’au rez-de-chaussée de
son hôtel toute une foule se chauffait et s’abreuvait à ses frais, Valois, dans
son cabinet, au premier étage, recevant visiteur après visiteur, cherchait les
moyens d’alimenter non plus seulement ses caisses, mais encore celles de
l’État.
    Une matinée de la fin de cette semaine-là,
il était enfermé avec son cousin Robert d’Artois. Ils attendaient un troisième
personnage.
    — Ce banquier, ce Lombard, vous
l’avez bien mandé pour ce matin ? dit Valois. Je vous avoue que j’ai
quelque hâte de le voir paraître.
    — Eh ! Mon cousin, répondit
le géant, croyez que mon impatience n’est pas moins grande que la vôtre. Car
selon la réponse que vous donnera Tolomei, vieux brigand s’il en est, mais qui
s’y entend assez en finances, je m’apprête à vous présenter une requête.
    — Laquelle ?
    — Mes arrérages, mon cousin,
les arrérages des revenus de ce comté de Beaumont qu’on m’a octroyé voici cinq
ans pour feindre de me payer l’Artois mais dont je n’ai pas encore vu les
lisières [8] .
C’est plus de vingt mille livres à cette heure qu’on me doit, et sur quoi ce
Tolomei me prête à usure. Mais puisque vous avez maintenant disposition du
Trésor…
    Valois leva les bras au ciel.
    — Mon cousin, dit-il, la tâche
d’aujourd’hui consiste à trouver le nécessaire pour expédier Bouville vers
Naples, car le roi me rebat l’oreille, sans arrêt, de ce départ. Ensuite, la
première affaire dont je m’occuperai sera, je vous en fais la promesse, la
vôtre.
    À combien de personnes, depuis huit
jours, n’avait-il pas donné la même assurance ?
    — Mais le tour que Marigny
vient de nous jouer sera le dernier, je vous le promets aussi ! Le chien
rendra gorge, et vos arrérages, nous les prendrons sur ses biens. Car où
croyez-vous que soient passés les revenus de votre comté ? Dans sa
cassette, mon cousin, dans sa cassette !
    Et Monseigneur de Valois, déambulant
à travers son cabinet, exhala une fois de plus ses griefs contre le coadjuteur,
ce qui était manière d’éluder les demandes.
    Marigny, à ses yeux, portait la
responsabilité de tout. Un vol avait-il été commis dans Paris ? Marigny ne
tenait point en main les sergents du guet, et peut-être même partageait avec
les malfaiteurs. Un arrêt du Parlement défavorisait-il un grand seigneur ?
Marigny l’avait dicté.
    Petits et grands maux, la voirie
boueuse, l’insoumission des Flandres, la pénurie de blé, n’avaient qu’un seul
auteur et qu’une seule origine. L’adultère des princesses, la mort du roi et
même l’hiver précoce étaient imputables à Marigny ; Dieu punissait le
royaume d’avoir si longtemps toléré un si malfaisant ministre !
    D’Artois, d’ordinaire bruyant et
hâbleur, regardait son cousin en silence et sans un instant se lasser. En
vérité, pour quelqu’un dont la nature coulait un peu de même fontaine,
Monseigneur de Valois avait de quoi fasciner.
    Étonnant personnage que celui de ce
prince à la fois impatient et tenace, véhément et

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