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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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retors, courageux de son
corps mais faible devant la louange, et toujours animé d’ambitions extrêmes,
toujours lancé dans de gigantesques entreprises et toujours échouant par manque
d’une appréciation juste des réalités. La guerre était mieux son affaire que
l’administration de la paix.
    À l’âge de vingt-sept ans, mis par
son frère à la tête des armées françaises, il avait ravagé la Guyenne en
révolte ; le souvenir de cette expédition le laissait à jamais grisé. À
trente et un ans, appelé par le pape Boniface et par le roi de Naples pour
combattre les Gibelins et pacifier la Toscane, il s’était fait délivrer des
indulgences de croisade, en même temps que les titres de vicaire général de la
Chrétienté et de comte de Romagne. Or sa « croisade », il l’avait
employée à rançonner les villes italiennes, et à extraire des seuls Florentins
deux cent mille florins d’or pour leur consentir la grâce d’aller piller
ailleurs.
    Ce grand seigneur mégalomane
montrait un tempérament d’aventurier, des goûts de parvenu et des volontés de
fondateur de dynastie. Aucun sceptre ne se trouvait libre dans le monde, aucun
trône vacant, sans qu’aussitôt Valois n’étendît la main. Et sans jamais de
succès.
    Maintenant, à quarante-quatre ans
révolus, Charles de Valois s’écriait volontiers :
    — Je ne me suis tant dépensé
que pour perdre ma vie. La fortune toujours m’a trahi !
    C’est qu’il considérait alors tous
ses rêves écroulés, rêve d’Aragon, rêve d’un royaume d’Arles, rêve byzantin,
rêve allemand, et les additionnait dans le grand songe d’un empire qui se fût
étendu de l’Espagne au Bosphore et pareil au monde romain, mille ans
auparavant, sous Constantin.
    Il avait échoué à dominer l’univers.
Au moins lui restait-il la France où déployer sa turbulence.
    — Croyez-vous vraiment qu’il
accepte, votre banquier ? demanda-t-il brusquement à d’Artois.
    — Mais oui ; il exigera
des gages, mais il acceptera.
    — Voilà donc où je suis réduit,
mon cousin ! dit Valois avec un grand désespoir qui n’était pas feint. À
dépendre du bon vouloir d’un usurier siennois pour commencer à remettre quelque
ordre en ce royaume.
     

IV

LE PIED DE SAINT LOUIS
    Messer Tolomei fut introduit dans le
cabinet, et Robert d’Artois se déplia tout entier pour l’accueillir, paumes
ouvertes.
    — Ami banquier, je vous ai de
grandes dettes, et vous ai toujours promis de vous payer à la première faveur
que me ferait le sort. Eh bien ! Ce moment est venu.
    — Heureuse nouvelle,
Monseigneur, répondit Spinello Tolomei en s’inclinant.
    — Et d’abord, poursuivit
d’Artois, je veux commencer par m’acquitter de la reconnaissance que je vous
dois en vous procurant un client royal.
    Tolomei s’inclina de nouveau, et
plus profondément, devant Charles de Valois, en disant :
    — Qui ne connaît Monseigneur,
au moins de vue et de renommée… Il a laissé de grands souvenirs à Sienne…
    Les mêmes qu’à Florence, à ceci près
que Sienne étant plus petite, il n’avait pris que dix-sept mille florins pour
la « pacifier » !
    — J’ai moi aussi gardé bonne
impression de votre ville, dit Valois.
    — Ma ville, à présent,
Monseigneur, c’est Paris.
    Le teint bistre, la joue grasse et
pendante, l’œil gauche fermé par la malice, Tolomei attendait qu’on l’invitât à
s’asseoir, ce que fit Valois en lui désignant un siège. Car messer Tolomei
méritait quelques égards. Ses confrères, marchands et banquiers italiens de
Paris, l’avaient élu tout récemment, à la mort du vieux Boccanegra,
« capitaine général » de leurs compagnies. Cette fonction, qui lui
donnait contrôle ou connaissance de la quasi-totalité des opérations de banque
dans le pays, lui conférait une puissance secrète, mais primordiale. Tolomei
était une sorte de connétable du crédit.
    — Vous n’ignorez pas, ami
banquier, reprit d’Artois, le grand mouvement qui se fait ces jours-ci. Messire
de Marigny, qui n’est pas fort votre ami, je crois, non plus qu’il n’est le
nôtre, se trouve en mauvais point…
    — Je sais… murmura Tolomei.
    — Aussi ai-je conseillé à
Monseigneur de Valois, comme il avait besoin d’appeler un homme de finances, de
s’adresser à vous dont l’habileté m’est connue autant que le dévouement.
    Tolomei remercia d’un petit sourire
de courtoisie. Sous sa paupière close, il observait

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