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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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matin. Il avait été décidé, en effet, qu’ils rentreraient par mer,
pour gagner du temps. Dans leur bagage, ils emportaient un petit coffre serti
de métal qui contenait l’or délivré par les Bardi de Naples, et dont Guccio
gardait la clef sur sa poitrine. Accoudés à la rambarde du château d’arrière, Bouville
et Guccio regardèrent, avec mélancolie, s’éloigner Naples, le Vésuve et les
îles. On apercevait des groupes de voiles blanches quittant les rivages pour la
pêche de jour. Puis ce fut la haute mer.
    La Méditerranée était calme, avec
juste ce qu’il fallait de brise pour pousser le navire. Guccio, qui se
souvenait de sa détestable traversée de la Manche l’année précédente, et avait
conçu quelque alarme à remettre le pied sur un vaisseau, se réjouissait de
n’être point malade. Il lui suffit de deux heures pour prendre en estime la
belle stabilité du bâtiment, ainsi que sa propre vaillance ; et pour un
peu il se fût comparé à messer Marco Polo, le grand navigateur vénitien, dont
le Divisement du Monde , composé récemment d’après ses voyages,
était fort lu et fort célèbre ces années-là. Guccio allait et venait de
gaillard en gaillard, s’instruisait des termes de marine et se jouait à
lui-même l’homme d’aventures, cependant que l’ancien grand chambellan
continuait de regretter la ville merveilleuse à laquelle il avait dû
s’arracher.
    Après cinq jours, ils abordèrent à
Aigues-Mortes. De ce lieu, Saint Louis jadis était parti pour la
croisade ; mais la construction du port n’avait été véritablement achevée
que sous Philippe le Bel.
    — Allons, dit le gros Bouville,
s’efforçant de secouer sa nostalgie, il faut maintenant nous mettre aux tâches
urgentes.
    Les écuyers eurent à trouver chevaux
et mules, les valets à arrimer les porte-manteaux, le portrait d’Oderisi
emballé dans une caisse, et le coffre des Bardi que Guccio ne quittait point de
l’œil.
    Le temps était aigre, nuageux, et
Naples déjà ne semblait plus que le souvenir d’un rêve.
    Une journée et demie de chevauchée,
avec un arrêt en Arles, fut nécessaire pour gagner Avignon. Durant ce trajet,
messire de Bouville prit froid. Trop habitué au soleil d’Italie, il avait
négligé d’assez se couvrir. Or les hivers de Provence sont brefs, mais parfois
rudes. Toussant, crachant et mouchant, Bouville pestait sans relâche contre les
rigueurs d’un pays qui lui paraissait n’être plus le sien.
    L’arrivée en Avignon, sous des
rafales de mistral, fut décevante, car il n’y avait pas un seul cardinal dans
la ville. Voilà qui était au moins étrange pour une cité où résidait la
papauté ! Personne ne put renseigner l’envoyé du roi de France ;
personne ne savait, ou ne voulait savoir.
    Le palais pontifical était clos,
portes et fenêtres, et gardé seulement par un portier muet ou demeuré [11] .
Bouville et Guccio décidèrent alors, la nuit venant, d’aller prendre gîte dans
la forteresse de Villeneuve, de l’autre côté du pont. Là, un capitaine fort
maussade et fort avare de commentaires leur apprit que les cardinaux se
trouvaient sans doute à Carpentras, et qu’il fallait les chercher plutôt de ce
côté-là. Et il fournit aux voyageurs, mais sans empressement, le repas et le
coucher.
    — Ce capitaine d’archers, dit
Bouville à Guccio, ne se montre guère avenant à qui se présente de la part du
roi. J’en ferai remarque en rentrant à Paris.
    À l’aube tout le monde était en
selle pour franchir les six lieues qui séparent Avignon de Carpentras. Bouville
avait repris un peu d’espoir. Car le pape Clément V ayant prescrit par ses
volontés dernières que le conclave se réunirait à Carpentras, on pouvait
penser, si les cardinaux y étaient retournés, que le conclave siégeait enfin ou
se disposait à siéger.
    À Carpentras, il fallut déchanter.
Pas l’ombre d’un chapeau rouge. En revanche, il gelait, et le vent qui
continuait de souffler s’engouffrait dans les ruelles et coupait les hommes au
visage. À cela s’ajoutait, pour les voyageurs, un vague sentiment d’insécurité
ou de machination ; car, à peine Bouville et les siens étaient-ils sortis
d’Avignon, le matin, que deux cavaliers les avaient dépassés, sans leur rendre
leur salut, galopant à toute force vers Carpentras.
    — C’est étrange, avait remarqué
Guccio ; on dirait que ces gens n’ont d’autre souci que d’arriver avant
nous où nous

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