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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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toute ma vie.
    Il s’embarrassait de soucis
tatillons. Le portrait de Madame Clémence était-il bien arrimé et n’avait-il
pas été gâté par le voyage ?
    — Laissez-moi faire, messire
Hugues, lui répondit Guccio avec autorité. Et d’abord il me faut vous loger au
chaud ; vous me semblez en avoir grand besoin.
    Guccio s’en fut trouver le capitaine
de ville, et il eut si bien le ton qu’aurait dû prendre Bouville depuis le
début, fit sonner si haut, dans son fort accent italien, les titres de son chef
et ceux qu’il s’octroyait à lui-même, mit tant de naturel dans l’expression de
ses exigences qu’en moins d’une heure on vida une maison pour qu’il la pût
occuper. Guccio installa son monde et coucha Bouville dans un lit bien bassiné.
Puis, quand le gros homme, qui prenait hypocritement excuse de son
refroidissement pour ne plus rien décider, fut enfoui sous les couvertures,
Guccio lui dit :
    — Cette odeur de traquenard qui
flotte tout autour de nous ne me plaît guère, et maintenant j’aimerais assez
abriter notre or. Il y a ici un agent des Bardi ; c’est à lui que je vais
confier mon dépôt. Après quoi je me sentirai plus à l’aise pour vous rechercher
vos damnés cardinaux.
    — Mes cardinaux, mes
cardinaux ! grommela Bouville. Ce ne sont point mes cardinaux, et je suis
plus marri que vous l’êtes des tours qu’ils me jouent. Nous conférerons de cela
quand j’aurai dormi un peu, si vous le voulez, car je me sens tout frileux.
Êtes-vous bien assuré au moins de votre Lombard ? Pouvons-nous avoir
confiance en lui ? Cet argent, après tout, est celui du roi de France…
    Guccio le prit d’assez haut.
    — Ayez en l’esprit, messire
Hugues, que je suis en alarme pour cet argent tout juste, voyez-vous, comme
s’il appartenait à quelqu’un de ma famille !
    Il se rendit alors à la banque dans
le quartier de Saint-Agricol. L’agent des Bardi, qui était un cousin du chef de
cette puissante compagnie, reçut Guccio avec la cordialité qu’on doit au neveu
d’un grand confrère, et il alla serrer l’or lui-même dans sa chambre-forte. On
échangea des signatures ; puis le Lombard conduisit dans la grand-salle
son visiteur, afin que celui-ci lui fit le récit de ses difficultés.
    Un homme mince, légèrement voûté,
qui se tenait devant la cheminée, se retourna à leur entrée, et s’écria :
    —  Guccio Baglioni ! Per
Bacco, sei tu ? Che placere di vederti ! [12]
    —  Carissimo Boccacio, che fortuna !
Che faï qua  ? [13]
    Ce sont toujours les mêmes gens qui
se rencontrent en chemin, parce que ce sont toujours les mêmes, en fait, qui
voyagent. Il n’y avait rien de tellement extraordinaire à ce que le signer
Boccace fût là, puisqu’il était voyageur principal pour la compagnie des Bardi.
    Mais les amitiés nées au hasard des
chemins, entre gens qui se déplacent beaucoup, sont plus rapides, plus
enthousiastes et souvent plus solides que celles qui s’établissent entre les
sédentaires.
    Boccace et Guccio s’étaient connus,
un an plus tôt, sur la route de Londres ; Paris les avait à quelques
reprises réunis, et ils se regardaient comme s’ils eussent été amis de
toujours. Leur joie s’exprima en bonnes invectives toscanes, fort ornées dans
la grossièreté. Un auditeur non averti des habitudes florentines n’eût pas
compris pourquoi si joyeux compagnons se traitaient mutuellement de bâtards, de
chancreux et de sodomites.
    Tandis que le Bardi d’Avignon leur
versait du vin aux épices, Guccio raconta son expédition, les mésaventures
qu’il avait essuyées ces derniers jours en poursuivant les cardinaux, et
dépeignit le piteux état du gros messire de Bouville.
    Boccace bientôt ne se tint plus de
rire.
    — La caccia ai cardinali, la
caccia ai cardinali ! Vi hanno preso per il culo,
i Monsignori ! [14]
    Puis, reprenant son sérieux, il
fournit à Guccio quelques explications.
    — Ne sois point surpris si les
cardinaux se cachent, dit-il. On leur a enseigné la prudence, et tout ce qui
vient de la cour de France, ou s’annonce comme tel, leur fait prendre la fuite.
L’été dernier, Bertrand de Got et Guillaume de Budos, les neveux du pape
défunt, sont arrivés par ici, envoyés par ton bon ami Marigny, soi-disant pour
ramener en Bordelais le corps de leur oncle. Ils n’avaient avec eux que cinq
cents hommes d’armes, ce qui fait beaucoup de porteurs pour un seul
cadavre ! Leur mission était de préparer

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