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La Reine étranglée

La Reine étranglée

Titel: La Reine étranglée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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choses touchant le roi Philippe le Bel, la cour de France,
les familles royales. De la sorte, ils s’ouvraient mutuellement des mondes
inconnus et se complétaient à merveille, formant un curieux attelage où
l’adolescent, souvent, guidait le barbon.
    Ils pénétrèrent ainsi chez Donna
Clemenza ; mais leur air d’insouciance s’effaça aussitôt qu’ils virent,
plantée devant le tableau, la vieille reine mère Marie de Hongrie. Ployés en
révérences, ils avancèrent d’un pied prudent.
    Madame de Hongrie était âgée de
soixante-dix ans. Veuve du roi de Naples Charles II le Boiteux, mère de
treize enfants dont elle avait déjà vu mourir près de la moitié, elle gardait
de ses maternités un bassin large, et de ses deuils de longues rides qui
joignaient ses paupières à sa bouche édentée. Elle était haute de taille, grise
de teint, neigeuse de cheveu, avec sur toute la physionomie une expression de
force, de décision, d’autorité que la vieillesse n’avait pas atténuée. Elle
portait couronne en tête dès son réveil. Apparentée à toute l’Europe et
revendiquant pour sa descendance le royaume de Hongrie, elle avait fini, après
vingt ans de lutte, par l’obtenir.
    Maintenant que son petit-fils
Charles-Robert ou Charobert, héritier de son fils aîné Charles-Martel, mort
prématurément, occupait le trône de Buda, que la canonisation de son second
fils, le défunt évêque de Toulouse, semblait chose assurée, que son troisième
fils, Robert, régnait sur Naples et les Pouilles, que le quatrième était prince
de Tarente et empereur titulaire de Constantinople, que le cinquième était duc
de Durazzo, et que ses filles survivantes se trouvaient mariées l’une au roi de
Majorque, l’autre à Frédéric d’Aragon, la reine Marie ne considérait pas encore
sa tâche terminée ; elle s’occupait de sa petite-fille, Clémence
l’orpheline, la sœur de Charobert, qu’elle avait élevée.
    Se tournant brusquement vers
Bouville, comme un faucon de montagne repère un chapon, elle lui fit signe
d’approcher.
    — Alors, messire,
demanda-t-elle, que vous semble de cette image ?
    Bouville entra en méditation devant
le chevalet. Ce qu’il contemplait, c’était moins le visage de la princesse que
les deux volets latéraux destinés à se rabattre pour protéger le tableau, et
sur lesquels Oderisi avait peint d’une part le Maschio Angioino et de l’autre,
dans une perspective en superposition, le port et la baie de Naples. Regardant
la figuration de ce paysage qu’il allait devoir incessamment quitter, Bouville
éprouvait déjà de la nostalgie.
    — L’art m’en paraît sans
reproche, dit-il enfin. Sinon que la bordure est peut-être un peu simple pour
encadrer un visage si beau. Ne croyez-vous pas qu’un feston doré…
    Il cherchait à gagner un jour ou
deux.
    — Il n’importe, messire, coupa
la vieille reine. Trouvez-vous qu’il ressemble ? Oui. Alors voilà
l’important. L’art est objet frivole et il m’étonnerait que le roi Louis se souciât
beaucoup de guirlandes. C’est le visage qui l’intéresse, n’est-ce pas
vrai ?
    Elle ne mâchait pas ses mots, et, à
la différence de toute la cour, ne se souciait pas de dissimuler le motif de
l’ambassade. Toutefois, elle congédia Oderisi en lui disant :
    — Votre travail est bien fait,
jeune homme ; vous vous ferez compter votre dû par notre trésorier. Et
maintenant retournez peindre notre église, et veillez à ce que le diable y soit
bien noir et les anges bien resplendissants.
    Et pour se débarrasser aussi de
Guccio, elle lui commanda d’aider le peintre à emporter ses pinceaux. Du même
ton, elle envoya la dame de parage broder ailleurs.
    Puis, les témoins écartés, elle
revint à Bouville.
    — Ainsi, donc, messire, vous
allez repartir pour la France.
    — Avec un infini regret,
Madame, car toutes les bontés qui m’ont été faites ici…
    — Mais enfin, dit-elle en
l’interrompant, votre mission est accomplie. Du moins, presque.
    Ses yeux noirs étaient plantés dans
ceux de Bouville.
    — Presque, Madame ?
    — Je veux dire que cette
affaire est réglée dans le principe, puisque le roi mon fils et moi-même
donnons accord au projet. Mais cet accord, messire…
    Elle eut un mouvement de la mâchoire
qui fit saillir les tendons de son cou.
    — … cet accord, ne
l’oubliez pas, reste à condition. Car si nous nous tenons pour très hautement
honorés par les intentions du roi de

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